FNH N° 1043

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CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 11 NOVEMBRE 2021

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Confidences

◆ Révélé au Festival de Tanger, en 1995, grâce à des courts métrages qui sont autant de diamants de la plus belle eau, Nabil Ayouch fut le porte-drapeau de toute une relève dont l'absence fut longtemps la maladie endémique du cinéma marocain. Dès lors, il y occupe une place à part… Voici des propos bien assaisonnés où il décline ce qui l’a poussé à réaliser «Haut et fort». Nabil Ayouch nous dit tout A vant d’être un art, le hip hop est une culture. C’est aussi une manière d’exprimer des

Zaoua», mon deuxième long métrage, à la fin des années 90, puis pour préparer «Les Chevaux de Dieu». Entre- temps, le quartier avait beau- coup changé. Les attentats du 16 mai 2003, dont les kamikazes étaient tous issus de Sidi Moumen, étaient passés par là et avaient frappé ce quartier d’une double peine. Les bidon- villes avaient presque entiè- rement été remplacés par les barres HLM. Seulement, en cours de route, les pou- voirs publics avaient «oublié» quelque chose d’essentiel : les arts et la culture. Ou com- ment recréer du lien, de la connexion, grâce à des lieux de vie... Eclairs J’ai tenté plusieurs fois de quitter ce quartier «maudit» , mais chaque fois j’y revenais. Une nouvelle époque de ma vie a commencé, une époque où je voulais rendre ce qu’on m’avait donné quand j’étais jeune. Au fur et à mesure que me revenaient les raisons qui m’ont donné envie de faire du cinéma, l’idée de laisser une trace auprès de cette jeunesse ne me quittait pas. C’est alors que j’ai décidé, avec mon ami Mahi Binebine, d’y créer un centre culturel, en tout point similaire à la MJC de mon enfance. Un lieu de vie, mais aussi et surtout un lieu de liberté et de mixi- té. Aujourd’hui, plus de 1.000 enfants viennent y étudier les

aspirations, des rêves, une colère. J’ai grandi à Sarcelles, en banlieue parisienne, à la fin des années 70 et au début des années 80. Cette période correspondait à l’émergence du mouvement hip hop en France. Des Etats-Unis, nous arrivaient les premiers sons de Grand Master Flash et d’Africa Bambaataa. Le flow des rappeurs, et surtout les mouvements de Break dance, envahissaient les rues... A Sarcelles, j’ai appris les arts dans un centre culturel, une Maison de la jeunesse et de la culture (MJC), «Le Forum des Cholettes». Là, j’ai vu mes premiers films de Chaplin, Eisenstein, mes pre- miers concerts, j’ai appris la chorale, le solfège, le théâtre, les claquettes... J’ai appris à regarder le monde... Cette MJC était comme un îlot de verdure au milieu des barres de HLM. Quand je suis venu à Sidi Moumen la première fois, au milieu des années 90, je me suis aperçu que ce quar- tier de Casablanca souffrait des mêmes maux que le Sarcelles de mon enfance : absence de lien social, senti- ment d’abandon de la part de ses habitants. J’y suis retour- né ensuite tourner toutes les scènes du début de «Ali

Quand je suis venu à Sidi Moumen la première fois, au milieu des années 90, je me suis aperçu que ce quartier de Casablanca souffrait des mêmes maux que le Sarcelles de mon enfance : absence de lien social, senti- ment d’abandon de la part de ses habitants.

arts. Parmi eux, le hip hop. Ces jeunes m’ont inspiré, par leur rage de dire qui ils sont à travers les mots et à tra- vers le corps. Leur vécu est certes très chargé, très lourd à porter parfois, mais ils s’ac- crochent au hip hop comme à une planche de salut. Pour eux, s’exprimer est une ques- tion de survie. Et c’est beau à observer. C’est dans ce centre que le désir de faire ce film est né et c’est dans ce centre que ce film devait prendre place. Cela fait des années que je fréquente ce centre régulière- ment, que j’assiste aux cours, que je parle avec les jeunes, que j’arpente leur quartier, que j’essaye d’en savoir plus

sur leur vie. «Haut et fort» est le témoignage de toutes ces années d’observation, d’inspi- ration sur le terrain, avec une démarche proche du réel que j’affectionne particulièrement dans la préparation de mes films. Ces jeunes m’émeuvent terriblement. Leur extraordi- naire énergie m’impressionne. Leurs paroles sonnent juste, elle n’ont pas de filtre ni de frontière, elles touchent. Et, partout dans le monde où cette jeunesse parle, elle a rai- son. Que ce soit à Casablanca, Hong-Kong, Alger ou Bogota, leurs cris, leur volonté de changer le monde, frappent comme un uppercut ceux qui refusent d’entendre. ◆

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