FNH N° 1129

41

CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 16 NOVEMBRE 2023

www.fnh.ma

différent de l’artisan traditionnel, même s’il en garde la mémoire plastique ou ico- nographique et un savoir-faire lié notam- ment aux techniques de la miniature, des enluminures et de la décoration murale », peut-on lire dans Patrimoine et Symboles (éditions Oum, 1999), sous la plume de Mohamed Sijelmassi. Son œuvre se présente sous forme de portraits de la cité tangéroise, croqués dans l’esprit des enluminures persanes et arabes. Une œuvre de la meilleure eau, qui forme aussi un précieux docu- mentaire sur les us et les coutumes d’une époque révolue, mais obstinément présente. Au mieux, les autoproclamés critiques d’art voient en lui, non sans une pointe de mépris, un peintre «naïf». Sans doute peut-on déceler des res- semblances entre lui et Mohamed Ben Allal, Saïd Aït Youssef, Chaïbia Tallal, Fatima Hassan ou Mohamed Lagzouli, tous peintres baptisés «naïfs» ou «spon- tanés». Lesquelles ressemblances résident dans leur commune autodidaxie, le fait qu’ils furent mis en lumière par des Occidentaux, ou encore leur sens vif de la couleur. Cependant, R’bati se démarque des «naïfs» par son souci de la composi- tion et le réalisme de ses représentations. «I l y a dans ses travaux, soulignait Mohamed Sijelmassi, une réelle tentative de représenter la troisième dimension en suggérant la profondeur de l’espace ». En ce sens, il est un peintre figuratif, n’en déplaise aux sceptiques. Est/Ouest Soit. Pour avoir usé du chevalet, inconnu au Maroc à l’époque, Mohamed Ben Ali R’bati, auteur de scènes d’apparat, est considéré par certains comme le précurseur de l’art contemporain maro- cain. Honneur dont d’autres, occultant les vocations soudaines et secrètes du premier quart du siècle dernier où les peintres comme Abdessalam El Fassi Ben Larbi, touchés par le ferment moder- niste, accordent au couple de l’élan brisé : Ahmed Cherkaoui et Jilali Gharbaoui. Le premier, enfant de Boujaad, formé à Paris puis à Varsovie, était fasciné par le signe. Ses toiles, des monogrammes de couleurs, se présentent comme une invitation à un voyage spirituel. Après des études à Fès, Jilali Gharbaoui obtient en 1952 une bourse pour l’Ecole des Beaux- Arts de Paris. Il rencontre et se lie d’ami- tié avec Pierre Restany et Henri Michaux. Il séjourne en 1958 à Rome, rentre à

Rabat, puis retourne à Paris. Epuisé par ses tourments existentiels et l’alcool, il est retrouvé mort, à l’âge de 41 ans, au petit matin, sur un banc public parisien. Dès 1952, il s’est exprimé pleinement par une gestuelle alliée à la calligraphie, qui appelle dramatiquement à la vie. Une œuvre claire, lumineuse, riche, inépui- sable. On s’accorde à dire que Ahmed Cherkaoui et Jilali Gharbaoui sont les premiers peintres à ouvrir à l’art marocain la voie de la modernité. Certes, il y avait des peintres, mais il n’y avait pas encore une peinture assumant sa destinée et impo- sant ses lignes de démarcation. Un trio de rebelles va sonner la charge contre la mièvrerie, la fadeur et le folklorisme auxquels la peinture marocaine est, à l’époque, encline, selon le bon vouloir des consécrateurs illégitimes. Artistes in(c)lassables Nous sommes en 1964. Farid Belkahia, Mohamed Melihi et Mohamed Chebâa, tous trois jeunes enseignants aux Beaux-

Arts de Casablanca, secouent le coco- tier des valeurs esthétiques désuètes, affranchissent l’art du joug colonial et l’arriment à une modernité qui ne regarde pas de haut la tradition. Voilà. La « rupture épistémologique », voulue par le philosophe Abed El Jabri, est consommée. Convaincu de l’urgence de la création d’un art contemporain réellement maro- cain, tourné vers la modernité tout en étant ancré dans la tradition esthétique marocaine, ces rénovateurs-là instau- rèrent l’enseignement de l’histoire de l’artisanat marocain, du travail du tapis et du bijou à la céramique, tout en pre- nant le contrepied de l’art «légitime», qui privilégie l’orientalisme, le folklorisme et le naïvisme. « La modernité n’est per- ceptible qu’à partir d’une assimilation des valeurs anciennes », répétait à satié- té Belkahia. Mais qui sont ces trois trublions qui ont donné le jour à la peinture contem- poraine marocaine ? Né à Marrakech, en 1934, Farid Belkahia s’éprend de la

On s’accorde à dire que Ahmed Cherkaoui et Jilali Gharbaoui sont les premiers peintres à ouvrir à l’art marocain la voie de la modernité.

Il convient de commencer par rectifier l’erreur selon laquelle «la peinture est arrivée au Maroc dans les malles du colonialisme». Ainsi que le rappelle Toni Maraini, dans le n°33, 2 ème semestre 1999, de la Revue Noire, les maîtres artisans possédaient, bien avant le Protectorat, un outillage technique incluant couleurs, pigments, teintes, vernis, mélanges, solvants, huiles, spatules, différents genres et tailles de pinceaux, et de craie pour tracer les dessins sans lesquels ils n’auraient pas pu décorer avec art et savoir bois, plâtre, céramique et – surtout – enluminer les manuscrits, calligraphier les textes et peindre les miniatures. En outre, prospéraient déjà les imagiers populaires qui puisaient leur inspiration dans les sources vives de la Bible et du Coran et la vie des saints : Adam et Eve, le sacri- fice d’Abraham, Joseph et Zoleikha, L’arche de Noé, Sidna Ali Ibn Abi Talib, Sidi Rahal Al Boudali, Sidi Ahmed Tijani… Sans parler des miniaturistes, dont certaines œuvres, telles que Bayad et Rayad, furent exécutées au XIII ème siècle. Bref, la peinture, du moins sous sa forme non savante, était présente avant l’irruption européenne. Au début étaient les enlumineurs et les miniaturistes

Made with FlippingBook flipbook maker