FNH N° 1026 _1

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SOCIÉTÉ

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 10 ET VENDREDI 11 JUIN 2021

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Mounia Belafia, sans fard Immigration

◆ Qu’est-ce que l’immigration ? Pourquoi persiste-t-elle, se reproduit-elle et se révèle-t-elle si difficile à éradiquer ?... Migrants dans l’ombre, causes, dynamiques, Mounia Belafia nous en dit long. ◆ Entretien fleuve avec cette écrivaine et journaliste qui vient de publier, chez L’Harmattan, une nouvelle pièce de théâtre sur ledit phénomène, sobrement intitulée «Hors les murs».

Propos recueillis par R. K. Houdaïfa

Finances News Hebdo : Quelle est l’his- toire de la pièce «Hors les murs» ? Et puis, celle du moment où l’idée vous en est venue jusqu’au moment de sa parution ? Mounia Belafia : La pièce de théâtre Hors les murs aborde le sujet de l’immigration clandes- tine, à travers cinq personnages, qui ont chacun une histoire différente, mais qui se croisent dans la douleur, la souffrance, le désespoir et la recherche d’un espoir ailleurs. Une femme, Zaytoun, et sa fille, Fartuun, qui viennent de Somalie, et qui ont fui l’insécurité et les guerres tribales, ainsi que les traditions et la répression religieuse exercées surtout sur les femmes. Puis elles ont vécu le cauchemar de la traversée du désert, des forêts et des routes. Abdelmalek, un citoyen nord-africain, qui a un diplôme universitaire, mais n’a pas réussi à trouver du travail. Il a demandé un visa pour aller dans un pays européen, mais sa demande a été rejetée. Sadou, un citoyen africain qui vivait dans un pays où s’activent les groupes terroristes, avant de partir en Libye. Il y a travaillé en tant que pro- fesseur. Après l’intervention militaire de l’Otan en Libye et la chute du régime de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, Sadou a dû affronter le chaos dans lequel a sombré le pays. Nelson est un citoyen de Mozambique, qui a vécu à l’ombre des murs frontaliers qui encerclent de plus en plus son pays. Il tente de trouver une meilleure situation ailleurs afin de sauver sa famille de la pauvreté et de l’insé- curité. Les cinq personnages se rencontrent en route, et font une partie du chemin ensemble. En arri- vant aux frontières, ils se trouvent devant des barbelés. L’idée de la pièce m’est venue de ces photos que la presse publie fréquemment des immigrés clandestins qui tentent de franchir les murs frontaliers, mais y perdent assez souvent la vie. A maintes reprises, des gardes frontaliers les

On dit que le silence tue l’acte, et à travers cette pièce, je sou- haite donner une voix à ces milliers de victimes.

F.N.H. : A quoi ressemble la situation migratoire en Afrique ? M. B. : Elle est à l’image de la situation migra- toire dans beaucoup de pays du monde entier. C’est une situation dramatique qui ne cesse de s’empirer. Malheureusement, elle trouve de moins en moins son écho dans les médias, tandis que les politiques internationales privi- légient l’approche sécuritaire au détriment de l’être humain. Les médias et le discours politique tendent de plus en plus à résumer le drame de milliers d’immigrés clandestins à des chiffres. Quarante cadavres ont été repêchés par-ci. Vingt per- sonnes ont trouvé la mort par-là… Mais au-delà de ces chiffres, il y a l’être humain. Nous avons besoin de l’écouter, et surtout de l’entendre. L’Afrique souffre des problèmes structurels

chargent au vu et au su du monde sans que cela n’aboutisse à une forme de justice. De ces images, m’est venue l’idée d’écrire une pièce qui tenterait de les sortir de la banalité que leur imposent l’habitude et la répétition, vers un moment pendant lequel on donne à ces personnes / personnages, le droit de parler et de raconter leur histoire. On dit que le silence tue l’acte, et à travers cette pièce, je souhaite donner une voix à ces milliers de victimes. Je souhaite que l’acte soit visible dans une pièce écrite et jouée sur scène. Pendant des mois, j’ai effectué des dizaines d’entretiens et rencontres avec des immigrés clandestins, et j’ai essayé de tracer les carac- tères des personnages imaginaires de la pièce, à travers les récits de ceux qui ont connu ce calvaire.

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