FNH N° 1026 _1

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SOCIÉTÉ

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 10 ET VENDREDI 11 JUIN 2021

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liées à son histoire, à la colonisation et à ses systèmes politiques et aux relations qui lient ces pays avec les puissances mondiales. En concentrant la lutte contre l’immigration clandestine sur l’approche sécuritaire et en faisant de la gestion des frontières une priorité absolue, on ne tente que de gérer les consé- quences de la migration, mais le résultat est assez dramatique. F.N.H. : Comment les concernés ont-ils réagi à votre demande de les inter- viewer ? M. B. : Les entretiens se sont déroulés dans des contextes différents, professionnels, dans des associations, lors de la préparation de mes sujets journalistiques et autres. Divers contextes qui m’ont permis de voir beaucoup de personnes avec des histoires variées. Mon travail en tant que journaliste m’a permis d’avoir une certaine aisance à mener ce genre d’entretiens. Mettre les personnes concernées en confiance. Les inciter à parler sans leur faire sentir qu’elles ne sont que des sujets à traiter. Pour moi, ce sont des êtres humains, et quand on raconte leurs histoires, il faut toujours le rap- peler et le faire sentir. F.N.H. : Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés dans votre travail en direction des migrants ? M. B. : Beaucoup d’immigrés clandestins se méfient des autres, surtout des personnes qui ne vivent pas leur situation. Ils m’ont raconté que des fois, des personnes recueillent leurs témoignages, mais les dénoncent suite à cela. D’autres se sont confiés aux médias, surtout à des télévisions, mais ils ont été refoulés ou dérangés après la diffusion des émissions. Mais, encore une fois, mon travail en tant que journaliste m’a permis de trouver des personnes de confiance, qui m’ont facilité l’accès à un plus grand nombre d’immigrés clandestins. Il fallait aussi trouver des personnes qui sont prêtes à tout raconter, ce qui n’est pas facile, surtout quand il s’agit de viol ou autres. J’ai donc été amenée à voir les mêmes personnes plusieurs fois afin de tisser des liens de confiance avec elles et les pousser à faire des confidences. La plupart de celles qui ont su qu’il s’agissait d’un projet de fiction qui ne retracera pas leur propre histoire, mais va seulement s’en inspirer, ont été plus ouvertes à raconter leur drame. F.N.H. : Les pays sont-ils suffisamment armés, selon vous, pour organiser les accueils ? M. B. : Pour répondre à votre question, je pré- fère poser une autre qui montre l’autre face de

Les trois routes les plus empruntées sont, de manière décroissante, celle qui relie la Turquie à la Grèce, celle entre l’Afrique du Nord et Lampedusa (en Italie), la route des Balkans et, enfin, le trajet qui relie le Maroc à l’Espagne.

la monnaie. Est-ce que les politiques qui ont été adoptées jusqu’à ce jour, ont pu éradiquer ou même limiter ce phénomène ? Certainement pas. Donc, le fait que les pays dits d’accueil se plaignent de ne pas pouvoir recevoir «tout le monde» est erroné, parce qu’ils visent à cacher le fond du problème. Les politiques adop- tées ont surtout une tendance sécuritaire au détriment de l’humanitaire. On érige les murs, partout dans le monde, surtout pour limiter les déplacements des populations. On dénombre quelque 64 murs et d’autres en construction dans le monde. On dépense des budgets colos- saux non seulement pour les construire, mais aussi pour assurer leur entretien, payer les gardes et autres. Pourtant, les murs ne servent généralement que peu leur objectif. Pire encore, ils génèrent des logiques de transgression que les personnages de la pièce démontrent à tra- vers leurs propres expériences. Ils ont eu affaire à des passeurs tout au long de leur voyage. Ils ont payé de leur poche ou ont travaillé pendant des mois, afin de rembourser les passeurs. Dans la pièce, Nelson dit à un moment : «Je parle comme un être humain qui a vécu sur fond de frontières et de murs... Je parle comme un clandestin qui a pris la route dans tous les sens avant d’atterrir ici et à chaque arrêt, je me ren- dais compte de l’ampleur qu’a pris le trafic des passeurs et compagnies... C’est devenu une structure bien organisée, protégée et capable de tout faire... Les autorités érigent des murs, les passeurs et compagnies les détruisent… Ils installent des grillages, ils les démantèlent… Ils mettent des doubles clôtures, ils creusent des tunnels… Et plus on érige des murs, plus on a recours à leur service… Un cercle vicieux… ». On instaure aussi des lois et réglementations, et on force les pays d’où viennent la plupart des immigrés à jouer le rôle du gendarme,

monnayant quelques aides financières et tech- niques. On oublie dans tout cela, que c’est la vie des milliers de gens qui est en jeu. On oublie aussi que toutes ces politiques n’ont servi qu’à rendre le chemin de l’immigration plus tortueux. Mais le nombre de ceux qui veulent immigrer ne cesse d’augmenter. Ceux qui traversent les déserts, les forêts, les routes et les mers sont des gens en désespoir; ils savent qu’ils risquent leur vie dès le moment où ils décident de prendre ce dangereux chemin, mais c’est bien par désespoir qu’ils le font. Un désespoir qui les amène à chercher une forme d’espoir. Les politiques sécuritaires ne font que les enfoncer dans une détresse encore plus suicidaire. Ce qui veut dire que nous avons besoin d’une nouvelle approche, qui prend en considération non seulement les différents aspects liés à cette problématique, mais aussi qui regarde en face les raisons profondes qui nous ont amenés vers cette situation chaotique. Les pays d’où viennent les immigrés clandestins sont respon- sables de la situation, mais ils ne sont pas les seuls. Les pays dits d’accueil ont leur part de responsabilité dans tout ce qui se passe. F.N.H. : Ils déclarent également qu'ils ne peuvent pas accueillir tout le monde. Vous en dites quoi ? M. B. : Je pense que tant qu’on oublie l’aspect humanitaire de cette problématique, nous ne pourrions que l’empirer. Tant qu’on pense que le problème touche notamment les pays dits d’accueil qui ne peuvent pas accueillir tout le monde, on passe à côté de leur part de res- ponsabilité dans ce qui se passe. Les réper- cussions de la colonisation (le renforcement de l’esprit tribal et ethnique, les problèmes des frontières hérités de cette période…); le rôle que jouent les grandes firmes multinationales

Les politiques adoptées ont surtout une tendance sécuritaire au détriment de l’humani- taire.

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