FNH N° 1031

C ULTURE

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JEUDI 15 JUILLET 2021 FINANCES NEWS HEBDO

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Parution

◆ Mêlant démarches romanesques et historiques, Gilbert Sinoué livre une œuvre originale d’un intérêt certain. Chronique d’un règne F orce est de convenir du caractère «irrésu- mable» de «L’île du couchant» … Il n’y a pas lieu, cependant, Meknès, un 10 avril. A l’heure où Moulay Ismaïl prononce : «Si Dieu m’a donné le royaume, nul ne peut me l’ôter». Durant son demi-siècle de règne, il réussit l’impossible. Il s’évertua à unifier le pays difficile à gérer, qui fut très indiscipliné ainsi qu’apte à se diviser. Par R. K. Houdaïfa

de faire la fine bouche. Le livre est intéressant, jamais las- sant. Quoique ancré dans une phase de l’histoire du Maroc (aux XVII ème et XVIII ème siècles), il forme un roman historique. Les dosages du romanesque (bien que les personnages aient vraiment existé, l’auteur leur redistribue des rôles un peu différents) et de l’His- toire (les grands événements, lieux des batailles…) s’entre- choquent, s’entrelacent, s’en- tremêlent dans une parfaite harmonie. Au pupitre, un enfant du Caire, Gilbert Sinoué, écrivain de son état qui, n’étant auparavant qu’un «touriste imbécile» pour qui l’Histoire du Maroc s’arrê- tait à Hassan II, s’est pris à parcourir livres et recherches en quête de celle exaltée par une kyrielle de voyageurs fous de cet «Orient tout proche». Ses fouilles et documenta- tions, tantôt éblouies, tantôt amères, furent initialement consignées sous forme de roman. Son titre paraît per- tinent, dans la mesure où il évoque éloquemment l’appel- lation que le Royaume avait dans le reste du monde arabe, c’est-à-dire celle de «Jazirat Al-Maghreb» .

Ce n’est pas tant le mode de vie et de penser du Sultan, ni combien il avait de femmes et d'enfants, ni comment il décapitait ses prisonniers qui inté- ressaient, en premier lieu, l’auteur. Mais, par la force des événements, Gilbert fut conduit à porter attention plutôt à ce qu’il a accompli. Voire, aux mœurs politiques. Alors que l’ordre fléchissait, que le chaos s’installait et que les puissances occiden- tales tournoyaient dans le ciel telles des prédateurs guettant la mise à mort d’une proie, il parvint à obtenir, d’une main de fer, l’indépendance à l’égard des occupants espa- gnol, anglais, portugais… C’est à travers le regard d’un Français, Casimir Giordano, médecin personnel du sultan, que flamboie cette épopée, faite de déchirements, d’intri- gues et de gloire. En cet été intellectuellement givré, rien de tel qu’un embar- quement immédiat dans ce train chauffé à souhait, pour se décongeler les méninges. Rassurez-vous, bien que composé par un académi- cien, grand connaisseur de

Roman touffu, foi- sonnant et épais - de 304 pages -, agrémenté en cou- verture du tableau de l’orientaliste Eugène Delacroix, «Moulay Abd-Er- Rahman, sultan du Maroc, sortant de son palais de Meknès, entouré de sa garde et de ses principaux offi- ciers».

L’île du cou- chant» ne s’apparente pas du tout à ces trains historiques rigides,

abscons, impéné-

trables, qu’on referme sitôt

l’histoire et des mythes du Moyen-Orient, à l’érudition vertigineuse, «L’île du cou- chant» ne s’apparente pas du tout à ces trains historiques rigides, abscons, impéné- trables, qu’on referme sitôt les avoir ouverts. Pourtant, Gilbert ne tombe pas dans l’écueil du simplisme racoleur et de la limpidité paresseuse. Nous avons, ici, affaire à des pen- sées enveloppées dans un patchwork cousu de médita- tions à méditer, de fécondes réflexions, de professions de foi, d’aveux d’engouement, de

coups de cœur et de griffes au travers desquels l’auteur déploie son érudition par- tageuse, sa curiosité sans rivage, son humour, parfois tendre, tantôt féroce, au gré de son humour. Autant d’argu- ments en faveur de ce roman, parmi lequel il fait bon flâner, picorant ici, s’attardant là, et suspendant, ailleurs, sa lec- ture pour mieux en jouir. ◆ * Paru chez Galimard, «L’île du couchant» est le premier volume de ce Guerre et paix oriental qui s’achèvera en 1912, à l’heure du protectorat.

les avoir ouverts.

Une vie de lutte Nous sommes en 1672, à

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