FNH N° 1048

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DU 23 & 24 DÉCEMBRE 2021 FINANCES NEWS HEBDO

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Histoire de l’art

Saveurs d’Eden

◆ Un pertinent aperçu de la création marocaine du second quart du siècle dernier, qui donne un coup de projecteur sur des artistes venus à la peinture par des chemins de traverse. ◆ De Moulay Ahmed Drissi à Hassan El Glaoui, en passant par Mohamed Ben Allal, Ahmed Louardiri, Fatima Hassan El Farrouj, Boujemâa Lakhdar et Abbès Saladi, des tableaux propices aux enchantements que procurent les savoureuses énigmes.

coquilles d’œufs d’autruche, avec les peintures et les gra- vures rupestres, avec tout ce qui surgit, dans la préhis- toire, de la rencontre entre les cultures paléo-africaine, saha- rienne et atlantico-méditerra- néenne », souligne Toni. Bref, la peinture, du moins sous sa forme non savante, était pré- sente avant l’irruption euro- péenne; celle dite «moderne» ne fit son apparition que vers la fin du XIX ème siècle. Et pour avoir usé du chevalet, inconnu à l’époque, Mohamed Ben Ali R’bati, auteur de scènes d’apparat, est considéré par certains comme le précurseur de l’art contemporain maro- cain - ou du moins le pre- mier artiste peintre marocain. Honneur dont d’autres, occul- tant les vocations soudaines et secrètes du premier quart du siècle dernier où les peintres comme Moulay Ahmed Drissi (1924-1973), touchés par le fer- ment moderniste, accordent au couple de l’élan brisé : Ahmed Cherkaoui et Jilali Gharbaoui. Méticulosité Ayant accompagné un jour des artistes européens peindre à Marrakech, le jeune Moulay Ahmed Drissi vit l’un d’eux mélanger du vert et du brun; il lui fit alors remarquer que ce mélange ne donnait pas une belle couleur. Interrogé sur

S’ il est vrai que d é t e r m i n e r précisément la date de nais- sance de la peinture marocaine est chose malaisée, dire qu’elle « est arri- vée au Maroc dans les malles du colonialisme » relève de la pure fantaisie, sinon d’une cou- pable amnésie. Ainsi que le rappelle l’auteure des Écrits sur l’art (Kalam, 1990) Toni Maraini, dans le n°33, 2ème semestre 1999, de la Revue Noire, les maîtres artisans possédaient, bien avant le Protectorat, un outillage technique incluant couleurs, pigments, teintes, vernis, mélanges, solvants, huiles, spatules, différents genres et tailles de pinceaux, et de craie pour tracer les dessins sans lesquels ils n’auraient pas pu décorer avec art et savoir bois, plâtre, céramique et - sur- tout - enluminer les manus- crits, calligraphier les textes et peindre les miniatures. Ce qui veut dire : le pays n’était pas artistiquement vierge ! Cependant, au sens large, la peinture est multimillénaire : «(elle) commence au Maroc… au commencement (…) Elle commence avec les corps inhumés dont les os sont peints à l’ocre rouge. Elle commence avec les signes tracés sur des Par R. K. Houdaïfa

«Le Savant», une huile sur toile de Fatima Hassan El Farrouj

cette affirmation, Drissi répon- dit qu’il peignait depuis sa plus tendre enfance et que, dans le campement du Haut-Atlas de ses parents, il avait appris tout seul à dessiner en utilisant de la laine de mouton brûlée et des pigments d’herbes. Vivant près des animaux, l’enfant Drissi s’y était indéfectiblement attaché. Le jour où on l’arracha à leur compagnie pour être envoyé dans une école coranique fut marqué d’une pierre noire. « Dans ladite école, il y avait un vieux fqih très savant. Au lieu d’apprendre le Coran, j’es- sayais de dessiner les animaux. Le fqih me frappa beaucoup. Tous les enfants qui étaient avec moi se mirent à dessiner comme moi », confia-t-il dans une lettre adressée à un de ses pairs. Ainsi naquit sa voca- tion pour la peinture. Descendu de sa montagne, il suscita un immense intérêt par ses peintures lyriques et expres- sionnistes. On le combla de papiers, gouaches et pinceaux. Il en fit un si bel usage qu’on le sollicita pour une exposition à Lausanne, en 1952. La suite fut

un chemin de roses. Surnommé «le Douanier Rousseau» du Maroc, Mohamed Ben Allal (1928- 1995), berbère et inculte comme Moulay Ahmed Drissi, reçut, lui aussi, matériel, aide et encou- ragement. Il avait commencé à peindre en grand secret et à l’insu de son patron, le peintre français Jacques Azema, chez qui il était cuisinier. Ravi d’avoir attiré, par mégarde, son cui- sinier vers les nourritures pic- turales, Azema l’encouragea dans cette voie. Il s’y illustre, au point de surprendre un cri- tique aussi blasé que Bernard Saint-Aignan : « On demeure, en tout cas, confondu devant l’art de ce berbère absolu- ment inculte. Le don serait- il si développé chez certains artistes qu’ils puissent, sans effort, sans n’avoir jamais rien appris, faire instinctivement des chefs-d’œuvre ? » Superbe hommage ! Mohamed Ben Allal était cui- sinier. Ahmed Louardiri, né en 1928, était, lui, jardinier. Entre deux désherbages, il s’adon- nait à la peinture, juste pour le

La peinture, du moins sous sa forme non savante, était présente avant l’irruption européenne; celle dite «moderne» ne fit son appa- rition que vers la fin du XIX ème siècle.

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