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CULTURE
FINANCES NEWS HEBDO
DU 23 & 24 DÉCEMBRE 2021
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patios, jardins intérieurs, zellige fascinant par sa composition binaire... Et comme le ferait un miniaturiste, le point de vue, la perspective s'ébauchent pour disparaître aussitôt, cédant la place à une vision frontale aérienne, ou construite selon des superpositions propres à l'art dit naïf – pourtant, aucun lien avec ce mode pictural. Chez Hassan El Glaoui (1923- 2018), le cheval est un thème obsessionnel. Il l’a célébré sous toutes ses robes, croupes et chanfreins. Alors adolescent solitaire, ce dernier avait acquis, grâce à ses économies, un poulain, qui ne le quitta plus. L’attachement de son fils à la bête déplut fortement à l’ombrageux pacha Thami El Glaoui, qui envoya le frin- gant équidé paître l’herbe de Telouet. Hassan El Glaoui res- sentit cette séparation comme un sevrage. L’image de son compagnon l’obnubilait. Elle réapparut, d’abord, démulti- pliée dans ses gouaches, puis, plus tard, sur ses toiles. Hassan El Glaoui, Abbès Saladi, Boujemâa Lakhdar, Fatima Hassan El Farrouj, Ahmed Louardiri, Mohamed Ben Allal et Moulay Ahmed Drissi, de leur vivant, n’ont cessé de peindre, de recréer, de restituer les ani- maux, les lieux, paysages et personnages qui ont captivé leur regard d’artiste. Et s’ils se retrouvaient dans «Le jardin de l’Eden» que se passerait-il ? Picturalement, c’est un peu les scénarios qui hantent leurs œuvres. Des œuvres où « l’or- nement végétal, l’onirisme, l’ésotérisme, la spiritualité, la convivialité et les coutumes festives sont autant de pré- textes pour inventer un récit collectif, jeu de miroir avec une société en pleine évolution », écrit la Directrice générale de la Fondation CDG, Dina Naciri, dans le catalogue de cette exposition-événement. ◆ «Le Jardin d’Éden, ou la vision d’une société idéalisée», jusqu’au 30 mars 2022, à l’Espace Expressions CDG, à Rabat.
On a insisté aussi beau- coup sur le concept de spontanéité; et pourtant, un peintre non naïf peut posséder une fulgurance spontanée et un peintre naïf peut, de son côté, être très méticuleux.
«Scène de campagne», une gouache sur papier de Moulay Ahmed Drissi
plaisir, quand un autre jardinier, Miloud Labied, qui avait troqué la bêche contre le pinceau, le découvrit. Il le présenta alors à un architecte qui lui concoc- ta une exposition, en 1961. S’ensuivirent de nombreuses prestations de 1970 à 1974, où Louardiri faisait admirer ses compositions luxuriantes, ryth- mées par des êtres humains, des oiseaux, des arbres et des animaux domestiques et tra- versées par l’étrange et le mer- veilleux. Étrange et fascinant destin que celui de ces peintres que rien ne prédisposait à l’art. Ils sont venus à la peinture par des chemins de traverse. Quand ce n’est pas le hasard heureux d’une rencontre qui les a menés sur le chemin de la peinture, ce sont leurs proches qui les y ont poussés. À Fatima Hassan El Farrouj (1945-2011), son mari, déjà peintre ayant pignon sur chevalet, instille, comme une drogue douce, la passion des couleurs, des formes et de la lumière. Fatima Hassan comme Louardiri, Moulay Ahmed Drissi, Mohamed Ben
Allal, sont des autodidactes. Ce trait est leur seul déno- minateur commun; mais leurs styles sont assez divers. Ne pouvant se targuer d’une quel- conque fréquentation préalable des grandes écoles et pour avoir forgé un style non conve- nu, ces artistes se sont vu(e)s affublé(e)s de la condescen- dante étiquette de «naïf» (ce qui revient à considérer leur art comme une sorte de degré zéro de la peinture ?!). Passionné d’art et de peinture depuis son enfance bercée par les vagues (à l’âme) souiri(e) s, Boujemâa Lakhdar (1941- 1989) mit beaucoup de temps pour imposer son talent tout en audaces fulgurantes et en découvertes troublantes. Il déployait des œuvres saisis- santes parcourues de signes cabalistiques et distillant une réelle mystique. D’ailleurs, seuls quelques rares heureux l’appréciaient de son vivant, tant l’art brut qu’il servait, avec plus ou moins de bonheur, se retrouvait débiné comme genre «folklorique», regardé avec condescendance et ignoré par
les centres d’art à l’époque. « On a insisté aussi beaucoup sur le concept de spontanéité; et pourtant, un peintre non naïf peut posséder une fulgurance spontanée et un peintre naïf peut, de son côté, être très méticuleux », commente le cri- tique d’art, Toni Maraini, dans ses Écrits sur l’art, en insis- tant pour qu’on dissocie ces peintres en tant que groupe, vu que leurs œuvres, comme leurs parcours, sont distincts. imagier («muçawwir»), Abbès Saladi (1950-1992) s’évertue à réécrire l'univers moyennant une pano- plie de figures hybrides, angé- liques et mythiques à la fois. Démons, anges et houris; créa- tures mi-félines/mi-humaines et oiseaux au plumage coloré qui faisaient le bonheur et la fierté des jardins des «Mille et une nuits» se retrouvent donc installés dans un paradis ter- restre qui se caractérise par toutes les références réelles qui peuplent notre mémoire visuelle : minarets, hammams, Cosmique En véritable
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