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CULTURE
FINANCES NEWS HEBDO
JEUDI 9 MARS 2023
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attirance pour le roman, cela n’empêche de commettre des nouvelles. En vertu de l’inéluctable évolution, je trouve que mes personnages sont de plus en plus mûrs : les femmes sont aujourd’hui plus fortes, plus responsables, plus courageuses, capables d’agir… Je peux aussi les pré- senter avec leurs contradictions. Tu sais, il existe des femmes qui affichent le com- portement et les attitudes de la mentalité dominante ! F.N.H. : Généralement, les écrits sont truffés d’éléments autobio- graphiques. Votre livre observe-t- il cette règle ? K. A. : Mes histoires, bien sûr, sont fic- tives. J’aime vraiment la créativité et la fiction. Néanmoins, le point de départ de chaque écrivain reste sa propre vie. J’ai très certainement prêté mes sentiments et mes émotions à mes personnages. Dans ce sens-là, on peut dire qu’il y a une part d’autobiographie. Parce que vous ne pouvez pas interpréter, imaginer, analyser les sentiments si vous ne leur prêtez pas un tant soit peu le vôtre. Peut-être, mes héroïnes sont une mosaïque d’instants et de sentiments forts très certainement glanés dans le réel subjectif et objectal, du moment que je suis une femme avant d’être écrivaine… Alors, mes personnages me représentent sûrement quelque part. J’ai rencontré des femmes qui souffraient de n’être que des cruches bien heu- reuses, de mener une vie de légume, si douillette soit-elle, de ne se mouvoir que dans un monde clos. Ce monde clos, j’y ai vécu et j’y avais ma place. Par exemple, lorsque je marche dans la rue, je me fais régulièrement harceler. Les soucis des femmes font donc partie de mon train- train quotidien… Dans une société domi- née par les hommes, régie par un système juridique tout aussi masculin, leurs peines sont indissociables de ma vie. F.N.H. : Vous qui êtes longtemps immergée dans l’écriture, pensez- vous que cette activité serve à quelque chose, en ces temps de délires collectifs destructeurs et d’obscurantisme ? K. A. : La littérature est une voix qui nous parle, touche nos douleurs, blessures et peurs, ainsi que nos interrogations, quelles que soient notre culture, langue ou religion. Elle a toujours représenté une sorte d’outil qui nous permettait de mieux réfléchir, de mieux comprendre, de mieux analyser les choses de la vie.
F.N.H. : Vous clamez haut et fort que vous écrivez contre… K. A. : A vrai dire, j'écris pour défendre tous les êtres humains et, par là même, j'écris «pour toutes les femmes !» (Sourire). F.N.H. : Pourriez-vous rappeler, en substance, pour ceux qui ne vous ont pas encore lue, l’argument de votre roman « » ? K. A. : «Banat Assabar» est une histoire qui dépeint le destin de plusieurs femmes. Elle commence par la mort du père d’une famille composée de filles. Après son décès, les oncles veulent hériter la maison (leur seul bien, d’ailleurs) selon les ensei- gnements de la charia islamique. Sa veuve Louisa et ses quatre filles vont donc vendre leur maison et partager l’argent avec les frères et les sœurs du défunt. C’est là où le malheur des filles commence. Elles se sentiront opprimées, indignées… Cela les laisse sans abri et presque sans moyens. De fait, elles perdent tout ce qu'elles ont construit, simplement parce qu'elles sont des femmes et que la loi sur l'héritage est «injuste». Elles sont forcées d'endurer la pauvreté, l'humiliation, l'extrémisme reli- gieux … F.N.H. : En somme, l’éternelle insatisfaction induite par le hiatus entre la vie subie et la vie rêvée…
K. A. : La deuxième des quatre filles, Shadia, par exemple, réussit à mettre le cap vers l'université de Rabat, mais elle reste toutefois tiraillée entre son désir de vivre une vie moderne et les attentes strictes d'une société dominée par les hommes. Mais ce qui me questionne, c’est le constat que les individus sont souvent les artisans de leur vie, même quand ils la rejettent. Ils prétendent la subir, mais ils prennent part à cet état de fait. F.N.H. : Ici, on côtoie les fon- damentalismes religieux, on retrouve le mouvement Hirak Rif, on pointe du doigt l'inégalité des sexes dans la loi islamique sur l'héritage, le chômage et l'injus- tice, les mille et une failles de notre système éducatif, de nos tribunaux, de notre système de santé… K. A. : En effet, «Banat Assabar» touche plusieurs sujets : sociaux, politiques, reli- gieux… On y trouve des femmes maro- caines de différents groupes sociaux et culturels qui n’ont en commun que la volonté et le désir de se libérer des barreaux du «patriarcat» que la société marocaine aurait préservé. Il y en a une qui, malgré le fait qu’elle soit issue de la bourgeoisie, éprouve le
La littérature est une voix qui nous parle, touche nos douleurs, blessures et peurs, ainsi que nos inter- rogations, quelles que soient notre culture, langue ou religion.
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