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DOSSIER

JOURNÉE INTERNATIONALE DES FEMMES : QUAND VIOLA DESMOND ENTRE DANS L’HISTOIRE

LUCAS PILLERI FRANCOPRESSE

Au lancement du nouveau billet de 10 $ au Musée canadien des droits de la personne, le 19 novembre 2018. — photo Keith Fraser, avec l’autorisation du Musée canadien des droits de la personne

malgré tout de s’y assoir. Le gérant, aidé d’un policier, sort alors la jeune femme de force. Elle passera la nuit en prison. Le lendemain matin, Viola Desmond comparait en cour sous lemotif de fraude fiscale, le billet de parterre étant plus cher d’un sou. Privée d’avocat, la jeune femme est alors condamnée à une amende de 26 $ qu’elle conteste ensuite devant la Cour suprême de Nouvelle-Écosse, sans obtenir gain de cause. Des décennies plus tard, en 2010, le gou- vernement néoécossais remet un pardon absolu à titre posthume à Viola Desmond, reconnaissant qu’elle a été condamnée à tort. En 2018, elle devient la première Canadienne à figurer sur un billet de cir- culation courante. UNGESTE PUISSANT Pour Camille Garon, conférencière diplô- mée en science politique à l’Université Laval, le billet sensibilise à la contribution des femmes de couleur pour l’égalité et la justice. « On va l’avoir présente sur nous, on va en parler, comprendre qui était cette femme, pourquoi elle s’est battue », réa- git-elle. D’autant plus que, selon elle, les femmes d’une minorité visible sont sou- vent négligées et victimes d’une double discrimination. Au cœur de la plus grande des galeries

Pendant de nombreuses années, l’histoire de Viola Desmond aura échappé au radar public. Jusqu’en 2012, où elle apparait sur un timbre de Postes Canada, puis, depuis novembre 2018, sur le billet de 10 $. Première Canadienne à y figurer, elle est désormais considérée par le gouvernement fédéral comme « personne d’importance historique nationale ». Dans les années 1930-1940, Viola Desmond est une jeune entrepreneure florissante en Nouvelle-Écosse. À la tête d’un salon de coiffure, d’une école d’esthé- tique et de sa propre gamme de produits de beauté, la femme d’affaires prospère. Mais le 8 novembre 1946, tout bascule. Dans la petite ville de New Glasgow, la jeune femme décide d’aller voir un filmau cinéma Roseland. L’ouvreur lui explique que son billet ne lui offre un siège qu’au balcon, alors qu’elle est installée au par- terre. En essayant de changer son billet, Viola Desmond se fait dire que le parterre est interdit « à des gens comme elle », allusion à sa couleur de peau. Elle décide

Desmond nous rappelle un moment de notre histoire pas toujours facile. » La leçon de l’histoire est aussi au cœur des considérations duMusée canadien des droits de la personne. « On peut apprendre du passé, aller de l’avant et œuvrer pour la justice, pour que les droits de toutes et tous soient respectés », avance Angela Cassie, qui rappelle la présence dumusée, d’une plume d’aigle et d’un extrait de la Charte canadienne des droits et libertés sur le nouveau billet. Depuis l’ouverture de l’exposition, l’his- toire de Viola Desmond est passée de l’oubli à la lumière. « L’exposition et le billet permettent d’ouvrir des discussions en profondeur et d’avancer en tant que pays dans beaucoup de réconciliations historiques », relate la responsable des affaires publiques. Avec sa tournée scolaire, le musée ap- proche aussi les jeunes, suscitant étonne- ments et passions. « Ils sont très souvent surpris de l’existence de la ségrégation raciale au Canada. Et ils sont inspirés par les efforts de Viola », relate Angela Cassie. Une étudiante, Elly Hooker, a même créé une bande dessinée à son sujet. LA ROSA PARKS DUCANADA ? La professeure de droit à l’Université d’Ottawa, Constance Backhouse, rappelle qu’a régné au Canada une ségrégation « pratique, mais non légale », même si les tribunaux donnaient toujours raison aux entreprises appliquant la ségrégation. « La ségrégation était très répandue à travers tout le pays », indique-t-elle, que ce soit dans les restaurants, les bars, les théâtres, les cinémas, les piscines, les parcs, l’armée ou les cimetières. Constance Backhouse a été la première à produire une analyse détaillée au sujet de Viola Desmond, en publiant en 1999 l’ouvrage Colour-Coded. Elle était pré- sente en 2010 à Halifax lorsque la lieute- nante-gouverneure de la Nouvelle-Écosse, Mayann Francis, première femme d’origine africaine à ce poste, a remis le pardon posthume à Viola Desmond. « C’était un évènement énorme », se souvient-elle. Poussée entre autres par des groupes féministes et les efforts de sa sœur Wanda Robson, la mémoire de Viola Desmond est ainsi réhabilitée. Pour autant, les Canadiens parleront-ils désormais autant de Viola Desmond que les Américains de Rosa Parks ?

du Musée canadien pour les droits de la personne à Winnipeg, l’exposition sur Viola Desmond profite de 1,4 million de visiteurs annuels depuis 2014. La vice- présidente principale des programmes, Angela Cassie, perçoit le besoin d’un tel éclairage : « L’histoire des femmes et la manière dont elles ont contribué à notre histoire ne figurent pas autant dans notre lexique. » Aussi, le film projeté, les pho- tographies et les explications viennent combler ce manque. Lily Crist, présidente de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne, a visité l’exposition fin février et a été conquise par l’histoire de la Néoécossaise. « Ça m’a donné une bouffée de courage, rapporte-t-elle. On prend vraiment conscience que les mouvements so- ciaux commencent par des personnes qui refusent le statuquo, l’inégalité et la discrimination. » La présence de Viola Desmond sur le billet de 10 $ revêt un caractère symbolique pour la militante. « C’est reconnaitre la présence, les enjeux, les apports de ces personnes à l’avancement de notre société. C’est une façon de dire que les femmes comptent, que les femmes issues des minorités visibles sont importantes et que leur apport change la façon dont nous vivons ensemble. » SE RÉCONCILIER AVEC LE PASSÉ Le symbole est d’autant plus fort que Viola Desmond prend la place d’un certain John McDonald, le premier premier ministre de la fédération canadienne. « On passe d’un homme très raciste, notamment envers les autochtones et les Afro-Canadiens, qu’ils jugeaient comme des “prédateurs’’, à une femme qui s’est battue pour la justice sociale », commente Camille Garon, qui a donné une conférence au sujet de Viola Desmond au TEDxQuébec en novembre dernier. « C’est un joli clin d’œil de l’his- toire », rejoint Lily Crist. Plus largement, le billet à l’effigie de Viola Desmond illustrerait la réconciliation historique à l’œuvre dans la société. « Il faut faire sortir les squelettes de notre placard », souligne Camille Garon, qui se définit elle-même comme une Afro- Québécoise d’origine haïtienne. « Viola

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