qu’elle puisse profiter pleinement de sa jeunesse avec ses enfants» , pour- suit-il. Le cri du corps et de l’esprit Alors qu’elles n’ont même pas atteint l’âge adulte, ces fillettes victimes du mariage précoce se trouvent du jour au lendemain contraintes de s’adap- ter aux aléas de la vie conjugale. En plus de l’épineuse gestion du foyer, ces mineures risquent de contrac- ter de sérieux problèmes gynécolo- giques. «Les relations sexuelles forcées avec leurs conjoints peuvent conduire à des déchirures vaginales responsables d’infections à répétition et de saigne- ments parfois mortels en l’absence de prise en charge. L’initiation pré- coce à l’activité sexuelle implique que les voies génitales des adolescentes ne sont pas totalement développées et sont plus enclines à des microfis- sures», explique Ibtissam El Kebir, médecin gynécologue. D’après les résultats de l’étude conduite par le ministère public, 59,07% des mineures ont besoin d’interventions chirurgicales pen- dant l’accouchement, que ce soit pour des césariennes ou pour épisio- tomie, étant donné que leurs corps n’ont toujours pas atteint leur pleine croissance pour enfanter. «La grossesse et l’accouchement constituent la deuxième cause de décès chez les filles de 15 à 19 ans dans le monde. Ces décès sont géné- ralement provoqués suite au manque de centres de santé et de moyens per-
n’est jamais facile pour un parent de se séparer de son enfant, mais pour ne rien vous cacher, je me suis senti soulagé quand Ahlam s’est mariée à cet âge-là. Car, sinon, j’allais deve- nir la risée de tout le village. Chez nous, toutes les filles se marient à un âge précoce, c’est même devenu la norme», témoigne le père de Ahlam. «Il n’y a aucun mal à se marier à quelqu’un qu’on ne connaît pas; cela a d’ailleurs été le cas pour sa mère et moi. On ne s’est pas vu avant le mariage, l’amour est venu naturel- lement après. Maintenant, rien ne peut me combler davantage que de pouvoir prendre ma petite-fille ou mon petit-fils dans mes bras. Il n’y a aucune raison d’attendre encore, c’est l’âge idéal à la procréation afin
le mariage. Mariée depuis environ neuf mois à un homme de douze ans son aînée, Ahlam, âgée d’à peine 17 ans, est terrifiée à l’idée de tomber enceinte. «Dans notre village, la tradition veut que l’on se marie très tôt. Depuis l’âge de 13-14 ans, mes copines et moi adorions regarder les feuilletons et imaginer le jour où quelqu’un se pré- senterait pour demander notre main. C’est donc tout naturellement que j’ai dit oui, sans hésitation, lorsque Aziz, un cousin lointain de mon père que je rencontrais pour la première fois, m’a demandée en mariage. Ce jour-là, j’étais vraiment aux anges, car non seulement je réalisais un rêve, mais je pouvais enfin quitter le village pour aller vivre à Casablanca, la ville immense que je n’ai jamais eu l’occa- sion de visiter. Ce qui me tracasse aujourd’hui est que ma famille me met la pression pour que je tombe enceinte, une éventualité que je redoute plus que tout, car je sais très bien qu’être enceinte à cet âge peut être dangereux» , confie-t-elle.
Entre 2015 et 2019, 57% des autorisations octroyées pour le mariage des mineures ont été accordées en 24 heures seulement.
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«La question qui s’impose, c’est de savoir si les dispositions de l’article 19 du code de la famille sont conformes a l’actualité juridique et de droits apportés par la Constitution de 2011. Cette dernière ayant accorde aux conventions internatio- nales, dûment ratifiées par le Royaume du Maroc, la primauté sur le droit interne du pays. La plus importante de ces conventions internationales est celle relative aux droits de l’enfant qui date de 1989. Cette dernière trouve sa légitimité juri- dique dans l’article 32 de la Constitution marocaine, qui stipule que l’Etat assure une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale a Malika Achkoura, procureur du Roi près le tribunal social de première instance de Casablanca tous les enfants et que leur enseignement fondamental est une obligation qui incombe a la famille et a l’Etat. De ce fait, nous affirmons que le milieu adéquat pour le développement d’un enfant est au sein d’une école afin d’acquérir des qualifications intellectuelles et garantir son épanouissement culturel pour réussir une vie décente, et non un mariage précoce violant le plus important des droits : celui de pouvoir choisir son partenaire a l’âge de la majorité civile et pénale».
Entre misère et spectre de la «vieille fille»
Dans les zones rurales, les filles sont souvent considérées comme un far- deau qu’il faut marier le plus tôt possible. Pensant qu’ils vont les pro- téger, leurs parents sont loin d’être conscients des conséquences d’un mariage précoce sur leur enfant. «Ce
91 HORS-SÉRIE N°43 / FINANCES NEWS HEBDO
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