La vie après la guerre, Denis Labbé se souvient… katina.diep@eap.on.ca C ORNWALL
Parmi les souvenirs que le vétéran n’aura pas à ensevelir, des actes de bravoure, au cours de ses années de service. En décembre 1987, il a reçu une mention spéciale du Général comman- dant de la force mobile de l’époque, pour sa contribution à sauver la vie d’une dame. Il conserve également plu- sieurs médailles et un certificat de reconnaissance pour l’ensemble de sa carrière. Une autre facette de la vie après l’ar- mée, que les anciens combattants doivent accepter, celle du rejet des pairs, une fois à la retraite. « Le monde militaire est un monde à part. Il y a la justice militaire, les lois militaires, c’est un monde clos. Quand on en sort, on ne te parle plus », a-t-il expliqué. « Il n’y a pas de support, le monde est froid, et il ne te reconnaisse plus comme faisant partie de la gang », a poursuivi l’ancien combattant. Selon lui, le corps de l’armée est bien présent durant le service, offrant aide et appui, mais le discours change lors- que l’aventure prend fin. « D’après moi, ils ont peur de ce qui va arriver après », a confié Denis, en parlant des membres qui appréhendent une éven- tuelle sortie du monde de l’armée. Le jour où tout à sauté En 1974, sur la base militaire de Valcartier, au Québec, une grenade a explosé sur le site, dans un bâtiment où se trouvaient les cadets, âgés à l’épo- que de 14 et 15 ans. En tant qu’infirmier, M. Labbé avait soigné des blessés, y compris le capitaine de l’époque, mais il a aussi vu des morts. « Je me suis souvenu tout récem- ment que j’étais allé porter deux corps de jeunes à la morgue », a expliqué le vétéran. C’est lors d’une séance de thé- rapie que son psychiatre lui a refait revivre ses images refoulées, consé- quence du choc post-traumatique. « J’avais éliminé certaines choses de ma mémoire », a ajouté M. Labbé. Une tragédie de laquelle découlaient six morts et une soixantaine de blessés. « Ils ont dit de me taire », a relaté le vétéran, présent sur cette base de Valcartier. Un livre intitulé La grenade verte Valcartier 1974 : les oubliés de la compagnie D , a été publié en 2011 par le journaliste Hugo Fontaine aux Éditions La Presse . Une commission d’enquête a été mise sur place par la suite, inter-
« Si vous ne m’aider pas, je vais me suicider », avait lancé Denis Labbé, il y a plus de 20 ans, dans un moment de désespoir à l’hôpital de Sainte-Anne de Bellevue. Denis Labelle, vétéran de guerre décoré de plusieurs médailles au fil de ses 26 ans de service militaire, n’en pouvait plus. Durant ses années au sein de l’armée, en tant que membre de l’équipe médicale, M. Labelle a vu plus de blessés et de morts que son cerveau était en mesure de compiler. « On met nos souvenirs dans un tiroir et on essaie d’oublier, explique M. Labbé. Puis un moment donné, les cauchemars commencent. Ça n’arrive pas tout de suite, ça peut prendre des années », a confié l’ancien militaire, qui, la voix nouée, admet que le souve- nir est encore difficile. Lors d’une entrevue qu’il a accor- dée au Journal la semaine dernière, M. Labbé s’est confié en toute candeur, acceptant de partager les aspects les plus tabous d’une carrière dans l’ar- mée canadienne, dans l’espoir de faire grandir un mouvement de solidarité. M. Labbé a œuvré dans l’armée de 1967 à 1993, et il se souvient des dates, des moments marquants de ses mis- sions, des pays visités. « J’ai fait plusieurs missions de paix, Chypre en 1973, l’Égypte en 1974, le Mont Golan, entre la Syrie et Israël ....» « Dans ce temps-là, il n’y avait pas de support quand on quittait l’armée. Aujourd’hui, les plus jeunes qui re- viennent de mission en Afghanistan ont la chance d’avoir de l’aide », a-t- il déclaré, faisant allusion aux différences de générations, à la ma- nière dont les retraités de l’armée sont suivis dans les cas de chocs post-trau- matiques, un diagnostic dont il a lui-même été étiqueté par un psychia- tre. Depuis quatre ans maintenant, il est suivi par le Dr Richard Kaley, psy- chologue ayant sa pratique à Cornwall. « T’es habitué à garder tes émo- tions en-dedans », explique M. Labbé, aujourd’hui visiblement prêt à parta- ger ses émotions, si lourdes soient-elles.
Photo Katina Diep Denis Labbé, un ancien de l'armée canadienne, ressort ses médailles et mentions d'honneur.
fronter ses émotions, donnant un exemple sans prix à tous les anciens combattant de guerre qui souhaitent surmonter un choc post-traumatique qui n’est peut être pas encore dia- gnostiqué en soit. Pour plus d’informations sur le Groupe de soutien des anciens militaires de Cornwall , veuillez communiquer avec Le Journal , par courriel ou par téléphone, au 613 938-1433.
rogeant les jeunes de la base. Le vo- lume compile des témoignages et rapports militaires, obtenus grâce à la loi sur l’accès à l’information. Pour l’ancien militaire, ce serait trop diffi- cile de le lire. Aujourd’hui, M. Labbé vit paisible- ment dans une belle demeure en banlieue de Cornwall, dégageant une personnalité attachante, un côté triste et joyeux à la fois. Il est spontané et modeste. Il possède le courage d’af-
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