FNH N° 1054

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JEUDI 10 FÉVRIER 2022 FINANCES NEWS HEBDO

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Hommage

◆ Il y a 30 ans, disparaissait le peintre Abbes Saladi. Octobre dernier, la BMCI a célébré la mémoire de cet imagier unique dont l’élan créateur fut trop tôt décapité, en soutenant la publication de «Abbes Saladi, histoires sans fin». Un beau-livre de pas moins de 283 pages, écrit par Jean-Michel Bouqueton & Brigitte Barberi Daum, et rehaussé d’une centaine de photographies signées Christian Lignon 1 , visant à ranimer la saladimania. Retour sur une vie productive, brève et intense. Saladi et ses chimères

répondu à son refus en déposant quelque gri-gri dans son portefeuille. Le docteur Tayeb Chkili qui le regardait s’adonnant sans retenue au dessin et donner forme à d’étranges figures, l’encourage et lui fournit du papier. Sa famille ne le délivra de cet enfermement que pour l’emme- ner se recueillir sur les sanctuaires de marabouts réputés, dans l’espoir qu’il obtienne une guérison ou une améliora- tion de son état. Un coup d’épée dans l’eau. Dès lors, sa vie a été ponctuée par des allers-retours à l’hôpital psychiatrique de Marrakech. Curieusement, ce lieu se révéla être, durant certaines périodes, son refuge. Il y restait quelques jours, quelques semaines. Il y avait sa chambre et la liberté de sortir. Rêves informulés, voire hermétiques Stylo ou crayon, Saladi dessinait avec tout ce qui lui tombait sous la main. Sur du papier qu’il colle parfois sur isorel, il trace des lignes d’ombre d’où sur- git un monde fantasmé de personnages chimériques aux visages inexpressifs, aux regards hallucinés, aux corps apathiques parfois recroquevillés en position fœtale. Comme il effectuait aussi à la gouache des scènes de la vie quotidienne à Marrakech, simples, allégées, apaisantes. Mais, il continuait à produire discrètement ses dessins obsessionnels lors de moments de dépression. « Je me trouve dans la peinture, le dessin. Quand je dessine, c’est comme si je vis ». Saladi dessinait pour lui seul. « J’en ai besoin pour m’exté- rioriser. Sinon j'explose ». Craignant le ridicule, il refusait que sa sœur vende aux touristes ses tableaux qui donnent à voir des personnages pittoresques s’activant dans des scènes de rue ou intérieurs de maisons. Mais l’idée fait son chemin : « Moi, comme j’avais des hallucinations,

oncles qui tenait une gargote de pois- sons frits à Casablanca. Ce fut le prélude d’une vie incertaine et difficile. Il obtient le bac et s’inscrit à 24 ans en philoso- phie à la faculté des Lettres de Rabat. Certes, il reste poursuivi par la mistoufle. L’horizon est sombre. Un jour, il est en cours de licence et subitement il monte en criant sur la table. Le cours est inter- rompu, ses camarades le maîtrisent. On l’interne directement à l'hôpital psychia- trique de Salé. Cependant, était-ce ce drame qui allait véritablement précipiter le futur imagier («muçawwir»), celui-là même dont parlent les Dits du Prophète et qui, par son pouvoir, invoque l'absent et le présentifie, dans les bras de l’art ? Il dit que la lumière est « entrée » dans sa tête, les oiseaux l’ont assailli et l’une de ses cousines désirant l’épouser, avait

N é en 1950 près du sanc- tuaire de Sidi Bel Abbes dans la médina de MRKCH (Marrakech, une ville qu’il n’aimait pas quitter et dont il accolait le nom à sa signature), ses parents choisirent de le nommer Abbes par respect pour le saint homme. Saladi, ce fin dessinateur, commence à dessi- ner avec du charbon ou de la craie, sur l’esplanade de la zaouïa, des scènes vues dans ses livres d’école ou imaginées à partir des histoires qu’on lui racontait. « ’Tous à l’école’, c’est le premier livre qui m’a donné envie de dessiner » 2 . A peine avait-il atteint les rivages incer- tains des cinq ans qu’il perdit son père. Vite fait, il est expédié chez l’un de ses Par R. K.. Houdaïfa

Je me trouve dans la peinture, le dessin. Quand je dessine, c’est comme si je vis». Saladi dessinait pour lui seul. «J’en ai besoin pour m’exté- rioriser. Sinon j'explose.

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