Ère magazine, édition décembre 2020

TRIBUNE LIBRE

François Lefort, homme politique, écologiste et scientifique, est avant tout un élu pragmatique. A l’écouter, on comprend que, pour lui, tout résultat découle d’une volonté ou d’une action. Aucun hasard, c’est du concret. LE PREMIER CITOYEN DU CANTON

6

D’autant plus émouvant que vous avez grandi loin de Genève, dans la campagne française… Je suis désormais citoyen genevois et suisse tout en ayant conservé la national ité française. J’ai effectivement grandi à la campagne dans un tout petit village de France. Une enfance campagnarde qui explique en partie votre engagement au sein du parti des Verts? Bien sûr. Quand j’étais enfant, j’étais attiré par tout ce qui était de l’ordre du vivant, j’avais beaucoup d’intérêt pour les sciences naturelles et j’ai vu aussi que la nature était parfois considérée comme une poubelle. Dans mon village, des paysans abandonnaient leurs vieilles voitures dans un coin plutôt que de les emmener à la casse. Je voyais également que des produits chimiques étaient balancés dans le ruisseau. Et puis je percevais aussi la puanteur urbaine quand il m’arrivait d’aller à la grande ville. A l’époque, il y avait encore des égouts et des décharges à ciel ouvert. Ces problèmes-là – que Genève connaissait également – ont été résolus à la fin des années septante quand on a commencé à trier les déchets, à construire des incinérateurs pour les brûler, à les enfouir aussi, à construire des stations d’épuration et des collecteurs. Cela dit, je me plaisais à la campagne, j’aurais d’ailleurs aimé être paysan. Mais je me suis lancé dans des études de biologie par passion. Des études qui vous ont amené à Genève en 1984 pour votre thèse… A Genève, j’ai tout de suite été séduit par le système politique, ce système de milice que je trouve exem- plaire. Le système suisse est quand même ce qu’il y a de plus démocratique en Europe et dans le monde ! Les gens ne sont pas toujours contents des résultats dans les urnes, mais ils ont voté ! Et ils peuvent donner leur assentiment ou non par référendum lorsqu’ils ne sont pas satisfaits des choix des autorités. Genève où l’écologie, à l’époque, était moins présente qu’aujourd’hui dans le débat politique ! Le monde a changé, heureusement ! Les gens ne nous croyaient pas il y a quarante ans lorsque nous parlions des dangers de la pollution pour le climat et la planète. Ils nous prenaient pour des fous. Alors que

François Lefort arrive en coup de vent, se débarrasse de son manteau et de son chapeau, mais conserve le masque de protection pour l’interview. Vous lui posez une question sur Genève, il répond en impliquant la Suisse, l’Europe et la planète. Il prône local mais pense global. Se réjouit des progrès de l’écologie dans les préoccupations citoyennes tout en reconnaissant les limites de la vague verte actuelle.

« Le système suisse est quand même ce qu’il y a de plus démocratique en Europe et dans le monde ! »

François Lefort, Président du Grand Conseil genevois

2020 aura été une «année folle» pour vous: la pan- démie, bien sûr, et votre élection à la présidence du Parlement cantonal. Difficile d’affronter les deux? Si vous m’aviez dit, il y a un an, que j’allais devenir président du Grand Conseil et que je forcerais les députés à mettre un masque sur le visage en commission, je n’y aurais pas cru ! Mais je sais m’adapter, je viens de la campagne où chaque jour est un nouveau jour. Et puis ils m’ont élu; alors, Covid ou pas, il faut faire le travail même si celui-ci est de nature différente parce que l’ambiance est beaucoup plus lourde. Le problème, c’est la crise sanitaire, mais aussi la crise sociétale et la crise économique qui montent. La fonction vous hisse au rang de premier citoyen de la République et canton de Genève. Cela veut dire quoi pour vous? C’est émouvant parce que c’est un honneur qui est décerné au premier pouvoir, dont je suis le représentant. Cette appellation de premier citoyen n’est pas dotée d’un pouvoir réel mais elle rend symboliquement hommage à une personne et, à travers elle, au Parlement. Elle est aussi une preuve de la bonne santé de nos institutions et des bonnes relations entre les trois pouvoirs. Ce qui n’est pas le cas dans beaucoup d’endroits sur la planète.

èremagazine | décembre 2020

Made with FlippingBook Ebook Creator