FNH N° 1024 ok (1)

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TRIBUNE LIBRE

FINANCES NEWS HEBDO

VENDREDI 28 MAI 2021

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Nous sommes, de plus en plus, conscients que le futur n’est pas construit par une volonté consciente, mais par un processus dans lequel l’inconnu, l’aléatoire inorganisé peut se transformer en ordre connu et organisé. Désordre apparent, ordre caché. «On ne connait que les choses qu’on apprivoise» (Antoine de Saint-Exupery). Par conséquent, ne cherchons donc point d’assurance et de fer- meté. Puisqu'on ne peut vivre sans l'incertain, apprenons à vivre avec. Apprivoisons l’avenir en accueillant l’incertain à bras ouverts ! Après tout, ce qui risque de nous faire tomber peut aussi nous apprendre à danser. Accepter de converser avec l’inat- tendu et de s’ouvrir à la nouveauté, c’est découvrir avec émerveillement que la vie a bien plus d’imagination que nous ! Vaille que vaille, faisons un pas de côté et osons inviter l’incertain à danser. Convoquons le duo Erreur et Complexité pour composer ensemble un Pas de trois ? Pourquoi pas ! Pour mieux vivre l’incertain, démystifions l’erreur. Voici une apologie pour y parvenir. Nous vivons à une époque qui contrôle de façon particulièrement prégnante les personnes, leurs actions, et les résultats de leurs actions. Sous cou- vert de sécurité, de traçabilité et de responsabilité, elle met en norme et sanctionne rapidement les dépas- sements. Que devient alors l’erreur, sinon une faute ? Comment faire autrement, quand on sait que pour percer le mystère de la vie, le mys- tère qui nous pétrie vraiment, nous avons besoin d’errer, de vagabon- der, d’aller çà et là ? Savez-vous que toutes nos erreurs sont des jugements téméraires, et toutes nos vérités, sans exception, sont des erreurs redressées ? Savez- vous qu’un sot n'est point tant un homme qui se trompe qu'un homme qui répète des vérités, sans s'être trompé d'abord comme ont fait ceux qui les ont trouvées ?

Savez-vous qu’on mesure la teneur en vérité d'une vérité à la quan- tité d'erreurs qu'elle a dû traverser, combattre, surmonter, et, à la fin des fins, conserver ? Savez-vous qu’une vérité qui aurait fait l'éco- nomie de cette traversée, de cette conservation, serait une vérité vul- nérable ? Sans défenses, au sens où on le dit d'un corps qui a perdu ses immunités et que la moindre attaque suffit à infecter. Ce serait une vérité fragile, chétive, littérale- ment débile et, surtout, désarmée face à la contre-attaque, toujours possible, de l'erreur. A toute erreur se dispose une poten- tialité d’apprendre. L'imperfection et le ratage (parfois nommés erreurs) constituent des étapes essentielles dans le processus créatif. Le génie, c'est l'erreur dans le système. Nous pouvons aussi voir l’erreur comme une stimulation, un appel à s’interroger, à mieux comprendre ce qui se passe, à dépasser l’écueil. L’erreur est aussi la possibilité de restructurer sa pensée, et donc de lui donner de l’épaisseur et de la grandeur. Et pour mieux rendre l’incertain abordable, acceptons la com- plexité ! Face à une question complexe dif- ficile à envisager dans sa globalité, nos cerveaux sont rompus à l’art de la taxinomie. Classifier, limiter, divi- ser, catégoriser sont des techniques de simplification qui peuvent s’avé- rer catastrophiques si les conclu- sions, de provisoires, deviennent définitives. La logique de réduction conduit à isoler artificiellement certains fac- teurs et à dégager des relations de cause à effet sans tenir compte de l’environnement. Tout facteur étudié est à replacer dans son contexte, à associer aux effets des autres fac- teurs et à pondérer d’une probabilité de doute. Un aphorisme redoutable s’impose à nous «Tout ce qui isole un objet détruit sa réalité même», «les liens font la vie». Ainsi, la pensée com- plexe est celle qui relie les choses séparées. L’écologie (notre sujet favori) contextualise toujours, saisit

les interactions et les rétroactions. Elle est, par conséquent, une pen- sée complexe. Par ailleurs, les biologistes et les géographes comprennent bien les phénomènes concernant l’auto- organisation d’un écosystème qui utilise bien la combinaison des rela- tions. C’est exactement ce que nous devons généraliser comme type d’approche. Ainsi, l’introduction de l’incertitude nous oblige à mieux accepter la complexité. La nécessité de mainte- nir ensemble les contraires et il vaut mieux les laisser exprimer leurs para- doxes que les méconnaître. Voici un des paradoxes les moins obscurs et néanmoins éclairant : « Plus nous devenons maîtres de la biosphère, plus nous en devenons dépendants; plus nous la dégradons, plus nous dégradons nos vies».

Contre flous et marées, dévelop- pons ce courage de l’avenir à appri- voiser. Développons une optique optimiste, qui permet de préserver l’espoir vivace d’un devenir posi- tif, surpassant toutes les difficultés et les férocités; assurant, dès lors, un avenir apprivoisé, apaisant, aux plus jeunes générations présentes et futures, empathiquement accueil- lies ! Et maintenant fermez les yeux, écou- tez Michael Buble chanter «Sway with me» et vous allez voir l’incer- tain, l’erreur et la complexité danser merveilleusement, sans peur et sans reproche. «Nul n'est poète en son pays et pourtant / J'ai vu ceux qui suent et ceux qui saignent / Devenir ceux qui sèment les mots qui soignent» (Souleymane Diamanka). ◆

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