FNH N° 1024 ok (1)

T RIBUNE LIBRE

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VENDREDI 28 MAI 2021 FINANCES NEWS HEBDO

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Danse avec les flous

◆ «Tu dois danser comme s'il n'y a personne qui t’observe, aimer comme si tu n'as jamais été blessé, chanter comme s’il n'y a personne qui t’écoute, et vivre comme si c'était le paradis sur terre» (WilliamW. Purkey)

ser, et comment danser ? Did you see me coming ?

Par Hamid Tawfiki, CEO CDG Capital

E n guise de prélude, je vous pro- pose, aujourd’hui, une toute petite histoire qui va nous aider à mieux froisser le temps. C’est l’histoire d’une manie, d’un som- nambulisme artificiel, d’une rave party, connue sous le nom de chorémanie. Mais attention, je vous préviens : toute ressem- blance avec la réalité présente n’est pas fortuite ! Il était une fois, en Alsace, une étrange maladie qui se mua en hystérie collective. Il y a près de 500 ans, le vendredi 12 juillet 1518, à Strasbourg, quelque part au milieu des ruelles de la ville, une femme, Frau Troffea, sortit de chez elle, commença à se trémousser et se mit à danser. Son visage était sans joie tandis que ses jupons tournoyaient autour de ses jambes agitées. Après plusieurs jours de danse ininterrom- pue, les pieds meurtris, les chaussures imbibées de sang, la sueur dégoulinant de son visage éperdu, la patiente zéro fût éjectée très loin en dehors de la ville. Le lendemain, sous les yeux ahuris et impuissants des habitants, des dizaines de personnes sont descendues dans la rue, agitées du même mal. Elles dan- saient de façon incontrôlable et étrange. Elles étaient incapables de s'arrêter, sans repos, jusqu'à en tomber évanouies. L’épidémie de transe, longue de deux mois, fait ainsi ses premières victimes mortes de fatigue, de soif ou d’inanition. Elle aura touché au moins 400 personnes, tuant jusqu’à quinze individus par jour au sommet de son intensité. A cette époque, la corporation des méde- cins a argué que cette danse était un mal naturel, causé par un échauffement exces- sif du sang; les danseurs fous seraient vic- times de sang vicié. On l’a aussi qualifié d’une transe de la malchance et de la vie invivable. Et comme souvent, le sacré entre en scène et on finit par attribuer à l’épidémie une origine divine. Of course !

«La danse est l'une des formes les plus parfaites de communication avec l'intelligence infinie» (Paulo Coelho) Après la petite histoire, voici le temps pré- sent. L’obsession du moment. L’épidémie de coronavirus nous contraint à éprouver l’incertain pour ce que nous croyons être un moment, et à vivre l’incer- tain de nos existences comme une dégra- dation provisoire. Nous avons accepté l'incertitude associée à l'aventure, à la surprise, à la chance, mais nous considé- rons rarement le tout sous cet angle. Et pourtant, la pandémie ne cesse de nous rappeler que toute vie est un vagabon- dage incertain. Finalement, le confinement rend l’incertain exhaustif. Nous voguons sur un milieu vaste, tou- jours incertains et flottants, poussés d’un bout vers l’autre, disait Pascal. Rien ne s’arrête pour nous. C’est cet état qui nous est naturel, et toutefois il est le plus contraire à notre inclination. Nous brûlons de trouver une assiette ferme, et une der- nière base constante pour y édifier une tour qui s’élève à l’infini, mais tout notre fondement craque, et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes. Mais qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment éloigné de comprendre les extrêmes. Ce n’est pas la nature qui nous appartient, c’est nous qui lui appar- tenons. «Nous sommes des joueurs et des joués», disait Edgar Morin. On réa- lise, tous, avec le temps qui froisse, que l’homme est situé entre deux infinis, un mélange de folie et de sagesse. Saviez-vous que notre mode de connais- sance se borne, souvent, à prévoir le probable quand surgit sans cesse l’inat- tendu ? Rappelons, à qui veut l’entendre, que l’inattendu n’est pas ce que nous attendons, mais bien ce qui nous attend. Souvent, cette confusion glisse, douce- ment, pour s‘incruster inexorablement.

«La danse des hommes, Pour apaiser le dieu du vent, Ressemble à la tem- pête» (Unkown Haiku) Cela étant dit, certaines questions méritent réponse : quelle était la vraie cause de cette épidémie ? Qu’est-ce qui avait donc pu donner envie à la patiente zéro de gigo- ter jusqu’à l’épuisement ? Selon un historien de la médecine, John Waller, la danse est un des moyens inven- tés par une société pour résister aux crises qui l’assaillent, pour rationaliser la marche des événements et pour leur apporter une réponse. En effet, à cette époque, Strasbourg vient de vivre trois ans de famine et un hiver particulièrement rigoureux. La syphilis a fait son apparition, accompagnée d’autres épidémies à répé- tition. La région est clairement en crise. Ainsi, la danse serait donc un remède qui apaise et non pas une maladie qu’on doit guérir. Nous y voilà. La thérapie par la danse. Nous savons tous que la danse est une forme d'art vivant, en mouvement. Danser, c’est épouser un rythme qui n’est pas forcément celui du ballottement. C’est un rythme que l’on peut anticiper, auquel on peut s’adapter, que l’on peut tenir. La question qui nous intéresse aujourd’hui est de savoir quoi panser, avec qui dan-

Puisqu'on ne peut vivre sans l'incertain, apprenons

à vivre avec. Apprivoisons l'avenir en accueillant l'incertain à bras ouverts !

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