FNH N° 1080

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SOCIÉTÉ

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 13 OCTOBRE 2022

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fessionnalisé prospère, quand on croit qu'avec la démocratisation et l'allon- gement de la durée des études, l'irra- tionalisme serait voué au cimetière des archaïsmes ancestraux, avec le rouet et la lampe à huile. Entre les «paramédecines» qui prétendent

venir à bout de toutes les mala- dies, même celles supposées incurables, les pythonisses aux prédictions invariablement radieuses, les fqihs désenvoû- teurs, les faux prophètes et les

Sacrifice de moutons pendant le moussem de Sidi Ali.

vrais escrocs, le monde de la mystifi- cation se porte comme un charme. Sa recette consiste à tirer profit de notre vision de l'avenir. Ce dernier est à la fois porteur d'angoisse et aussi promesse d'accomplissement des désirs. Dans une culture où l'on est enclin à se défausser de ses déboires, malheurs et ratages sur l'influence néfaste des jnoun ou la malveillance du prochain, les pra- tiques magiques sont monnaie courante. Toute une pharmacopée pas toujours à la portée des bourses modestes, est dispo- nible. A sa base, une pléthore d'animaux sacrifiables sur l'autel de la crédulité. Vous faites le siège de l'élue de votre cœur sans parvenir à l'amadouer, alors achetez un corbeau chez le aatar du coin, enterrez-en la tête avec de l'orge, laissez celle-ci germer à sa guise, ensuite frottez-vous en les mains. Vous n'aurez ensuite qu'à poser celles-ci sur votre dulcinée pour qu'elle vous tombe dans les bras. Deux êtres s'aiment d'amour et cette harmonie vous déplaît. Il suffira de pro- fiter de leur sommeil pour glisser entre eux du fiel de lézard vert et la discorde est semée. Vous vous croyez frappé du mauvais œil. Les piquants du porc-épic, la mâchoire du hérisson ou les cauris (coquillage), portés en amulettes, vous en préserveront désormais. Le mauvais sort vous pourchasse, vous aimeriez le conju- rer : la fumée produite par la dent d'un chien jetée sur le feu, une dent de héris- son montée en pendentif ou les entrailles séchées d'une huppe feront l'affaire. Vous haïssez une personne au point de désirer lui faire perdre le sommeil, faites en sorte qu'il mange les yeux d'une chouette, et le (mauvais) tour est joué. Si cette vengeance ne vous suffit pas, vous pourriez carrément lui faire perdre la raison, grâce à un sortilège aux effets éprouvés : la cervelle d'hyène. Sauf qu'une tête d'hyène vaut plus de 5.000 DH

et que nos zoos font bonne garde autour du «précieux» prédateur. A propos de cervelle, celle du mulet est très estimée pour ses pouvoirs maléfiques. Et, par- tant, recherchée, tellement recherchée que dans beaucoup de tribus, la tête des mulets morts est brûlée publiquement. Rien de plus indiqué que la fréquenta- tion des fqihs pour se faire rouler dans la farine de l'illusion. A grands frais. Les fqihs ne constituent pas une espèce en voie d'extinction. Bien au contraire, ils poussent comme primevères au prin- temps, tant leur «business» est florissant. Pénétrer dans l'officine d'un fqih procure une sensation de recueillement. Partout sont affichés les signes extérieurs de la dévotion : sourates accrochées aux murs, tapis de prières parsemant le sol, chape- lets de toutes sortes attendant d'être égrenés. Car ces gens-là sont pieux, infi- niment pieux. Bien qu'ils craignent Dieu, ils n'hésitent pas à signer un pacte avec le diable. Ils vous font raconter votre vie puis vous la resservent sous forme de prédiction Dès qu'ils se sont mis d'accord, le fqih demande au visiteur son prénom et celui de sa génitrice. Ce renseignement va lui servir à retracer son parcours; il addi- tionne le nombre correspondant à chaque lettre qui compose les prénoms recueillis, puis obtient un total qu'il divise par 3 ou 7. Ensuite, s'étalent sur une tablette des signes hermétiques que le fqih déchiffre. Le voilà instruit de la qualité et de la quantité des mauvais génies qui para-

lysent l'accomplissement du visiteur. Toute l'opération coûtera à ce dernier de 20 à 50 DH. Mais ce n'est que le pré- lude - appelé ftouh - d'une farce dont le visiteur sera le dindon bien plumé. Car, pour se dépêtrer définitivement de ses démons, il faut allonger plus que de la roupie de sansonnet. A fonds perdus. Souvent faux-prophètes, les boni- menteurs se révèlent parfois de vrais escrocs. L. en sait quelque chose : « J’avais perdu mon emploi et je n’en retrouvais pas. Un ami m’a recomman- dé un fqih qui officiait dans les alen- tours de Taroudant. J’ai fait le voyage une première fois. Après s’être livré à des calculs ésotériques, le fqih en conclut que les astres m’étaient, à cette période-là, néfastes, et qu’il fallait reve- nir. Il a quand même fallu lui payer la somme de 1.000 DH. Quelque temps après, je suis retourné le voir. Même air, même chanson. Une troisième, puis une quatrième fois, rebelote. A la fin, je me suis fait une raison. Le fqih était un vulgaire escroc ». C., trente-trois ans, en fit également la triste expérience : « Pendant dix ans, j’ai été secrétaire dans une entreprise. Une situation qui ne me convenait pas, étant donné mes diplômes et mes disposi- tions. J’aspirais au poste d'assistante de direction mais, malgré mon zèle et mon dévouement, il me fuyait. Beaucoup d’assistantes de direction se sont suc- cédé, pendant que j’étais confinée dans mon emploi insignifiant. Ma tante m’a dit que j’étais la proie d’un âks, et que je devais me confier à un fqih. On m’en

Pénétrer dans l'officine d'un fqih procure une sensation de recueille-

ment... Car ces gens-là sont pieux, infiniment pieux.

Bien qu'ils craignent Dieu, ils n'hésitent pas à signer un pacte avec le diable.

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