FNH N° 1080

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SOCIÉTÉ

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 13 OCTOBRE 2022

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sont en plein boom. Comble de l’iro- nie, ces pratiques qui requièrent, pour

l’essentiel, le don de double vue, constituent une économe occulte. Inutile de chercher à recueillir des informations sur leur métier auprès des intéressés, vous n’aurez rien qui vaille à vous mettre sous la dent. Chez la gent extralucide, on veut bien parler business, mais à condition qu’on oublie le leur. Aïcha, quarante-trois ans, carto- mancienne, se défend de gagner des mille et des cents : « Je ne suis

Croyances et mythes entourent le sanc- tuaire de Sidi Chamharouch. Beaucoup s'y précipitent pour se purifier dans l’antre du roi des Djinns. Selon la légende, «il est des ‘’autres’’ (…), euphémisme qui désigne les génies. Mais il ne se confond pas avec ces êtres invisibles, il est leur sultan», écrit Rachik Hassan dans «Le sultan des autres».

pas de celles qui se sont improvisées voyantes du jour au lendemain. Je pos- sède réellement un don divinatoire. Par l’entremise de ma nourrice, qui était une voyante réputée. C’est elle qui m’a fait porter une pierre déposée sous la langue d’une hyène, pour renforcer ma vocation. La preuve que je suis bonne, c’est que mes clients reviennent tou- jours. Mais je fais ça pour les rendre heureux, pas pour l’argent. J’en gagne peu. C’est pourquoi j’habite toujours dans ce quartier pauvre, dans un appar- tement minable ». Dans l’escalier qui conduit à son appartement, ils sont une quinzaine à attendre qu’elle les reçoive. Sachant que la consultation coûte 20 DH et que les clients pratiquent cette forme de confession deux à cinq fois par an, Aïcha n’a pas à se plaindre. Le tarif varie de 20 DH à 700 DH, en fonction de l’implantation du local, du look de la pythie et de la facture de la mise en scène. Mais celles qui prennent le moins ne sont pas forcément lésées (voir encadré). Au Maroc, la machine à satisfaire l’ir- rationnel fonctionne à plein régime. Entre les diseurs de bonne aventure, les numérologues, les exorciseurs, les désenvoûteurs ou les guérisseurs de tout poil, l’industrie de la mystification prospère et se ramifie constamment. La recette est toujours la même : abuser du désarroi des solitaires, des faillis de la vie, des paumés et des laissés-pour- compte. Mais, il n’y a pas que ceux-là. Même ceux qui n’ont pas de souci par- ticulier, recourent à l’irrationnel. Histoire de «savoir»… ou simplement de se divertir. Et tant qu’il existe des gogos, les charlatans de l’âme couleront des jours juteux. ◆

cadres supérieurs qui consultent le plus les charlatans de l’âme. Manifestement, avons-nous précisé, vu qu’il est aussi difficile de mesurer le poids statistique du monde de la mystification que d’évaluer l’influence de Vénus sur Jupiter par jours de grand vent. N., elle, a connu une mésaventure avec une voyante : « Des amies me disaient que M. était réellement douée. Dans une phase de déprime, je suis allée la consulter. Elle prenait cher : 400 DH les 20 minutes. Elle a commencé par me demander de lui raconter ma vie. Comme une sotte, je me suis exécutée. Cela a pris exactement 20 minutes. Elle m’a dit alors que si je voulais qu’elle prédise mon ave- nir, il fallait que j’allonge une nouvelle fois 400 DH. Ce que j’ai fait. Pour des prunes. En fait, la voyante a exploité le récit de mes malheurs pour me le resservir, en ponctuant chacun de mes déboires par un bref : ça va s’arranger. J’avais perdu 800 DH et mon temps ». C’est impensable, mais c’est comme ça : la divination, la voyance, la magie et toutes les formes de croyances parallèles

recommanda un. Tout de suite, il a lu dans les signes qu’un membre influent de l’entreprise ne m’aimait pas et qu’il s’obstinait à bloquer ma promotion. Il fallait juguler le âks. Chose facile, m’assu- rait le fqih, moyennant 10.000 DH. J’ai réuni la somme et je la lui ai remise. Des mois ont passé, je continuais à faire du surplace. Je suis retournée chez le fdih, il m’a signifié que les 10.000 DH n’étaient pas suffisants pour accomplir une tâche aussi immense. Il me conseilla de rajouter une somme égale. Ce que je fis, après avoir vendu mes bijoux. Des mois et des mois se sont écoulés, et toujours rien. J’ai fini par comprendre que j’avais été arna- quée ». C. a suivi des études supérieures en gestion. Preuve que ce ne sont pas seulement les ignorants et les analpha- bètes qui sont attirés par les croyances paranormales. Pire : aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’y a aucun rapport direct entre le niveau culturel et la croyance en un monde obscur, qui laisse des victimes sur le carreau de l’illusion. Manifestement, ce sont les lettrés, les entrepreneurs et les

Il n’y a aucun rapport direct entre le niveau culturel et la croyance en un monde obscur, qui laisse des victimes sur le carreau de l’illusion.

Les pythonisses ne sont pas toutes atteintes de cécité, il y en a même qui sont extralucides, telle Hassana – c’est le nom de scène de cette voyante -, dont la réputation a depuis longtemps franchi les frontières de son Zmamra natal (région d’El Jadida). On s’y précipite de toutes parts. Il est vrai que ses prétentions ne dépassent pas 50 DH mais, pour être reçu, il faut souvent poireauter pendant des jours et des jours pour recevoir l’oracle, compte tenu de l’affluence. Success story : Chez Hassana, «On revient toujours»

* «Le Maroc au présent : d’une époque à l’autre, une société en mutation», de Baudouin Dupret, Zakaria Rhani et Assia Boutaleb, sous la direction de Jean-Noël Ferrié.

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