Reflet_2014_02_27

 ggŏđŏ  

editionap.ca

Histoire d’une victime d’intimidation

demande à sa mère de changer d’école, que les choses empirent. Marie, curieuse, demande alors à Juliette comment est sa nouvelle école. «Géniale!», lui répond-elle. Marie se fait alors transférer dans la même école que Juliette. L’adolescente n’en peut plus, car le harcèlement reprend et elle se retrouve une fois de plus isolée. Rapide- ment, la jeune fille de 14 ans se renferme et se coupe, cette fois-ci, trois fois par jour. Aujourd’hui, à 15 ans, Juliette a évolué. Elle ne se coupe presque plus. «Il me reste encore 1% à travailler mais je vais y arriver (…) Je me dis que si quelqu’un me fait mal, il faut que j’en parle. Il ne faut pas res-

ANNIE LAFORTUNE annie.lafortune@eap.on.ca

Elle se retrouve seule, sort de sa poche un petit aiguisoir en plastique et le fait éclater en mille morceaux sur le plancher. Ses yeux fixent la lame de l’aiguisoir et ne voient qu’elle. D’un geste franc, ses doigts agrippent la fine lame et la déposent sur son avant-bras. Sans même ressentir de mal, sa main presse sur l’instrument et le sang commence à s’échapper de l’en- taille profonde en s’écoulant rapidement, comme pour fuir une situation mal- saine. Elle a mal à l’intérieur et cette douleur étouffante lui serre de plus en plus la gorge. Ce geste devien- dra alors un exu- toire lui permet- tant, dit-elle, de se débarrasser de cette souffrance insolente qui ne la quitte désormais plus. Ce sera sa façon à elle de se vider de ce mal qui la ronge. Cette histoire, c’est l’histoire vécue de Ju- liette (nomfictif afin de protéger la véritable victime), une jeune fille de la région. Juliette a 12 ans lorsqu’elle intègre la 7e année. Comme toutes les jeunes filles de cet âge, c’est souvent à l’école que les adolescents vivent leur premier amour et, justement, un jeune garçon attire son regard. Elle en fait part à sa nouvelle amie (que l’on prénom- mera Marie), mais cette dernière lui «vole» ce jeune garçon qui finit toutefois par casser avec Marie pour demander à Juliette de sor- tir avec lui. Commence alors une campagne d’intimidation contre Juliette. Marie passe ses messages via ses amis pour atteindre Juliette. L’enfer commence. «Des élèves qui ne me connaissaient même pas me trai- taient de tous les noms comme la grosse, la laide, tu pues… Et lorsque je réussissais à me ressaisir, à remonter la pente parce que ça me minait beaucoup, je retombais car les attaques continuaient.» Juliette préserve tout demême son amitié avec Marie. «Marie était populaire à l’école et je pense qu’on avait tous peur d’elle mais, en même temps, on voulait être son ami. C’est elle qui menait le groupe», ajoute Juliette. Lorsque les deux communiquent sur Facebook, Marie change d’attitude et la traite de tous les noms. «Elle m’écrivait de gros mots, des mots rabaissants, se sou- vient Juliette. Elle a même dit à d’autres personnes de l’école qu’elle allait me tuer. Mais je ne voulais rien dire à mes parents ou à l’école parce que j’avais peur d’aggraver la situation si je parlais. Ça m’affectait mais j’essayais d’arranger les choses.» Les nuits de Juliette deviennent de plus en plus agi- tées. Elle fait des cauchemars, ne dort plus. La dépression la frappe. Elle commence à se couper. Ses avant- bras, ses jambes et son ventre en portent encore les marques. «Ça me faisait du bien. Le mal sortait. Comme si j’étais en contrôle dema propre vie car c’est moi qui choisissait de me couper.» Au début, Juliette se coupe une fois par semaine mais elle accélère la cadence pour en venir à se couper une fois par jour. C’est en 9e année, lorsqu’elle

ter dans le silence.» En 10e année, elle se sent plus forte, mieux dans sa peau et moins vulné- rable. «Je respire car j’ai pris ma place.» Maintenant, elle ac- cueille les nouveaux élèves de la 7e an- née afin de les gui- der adéquatement vers leur nouvelle vie scolaire. «Je veux

«Ça me faisait du bien. Le mal sortait. Comme si j’étais en contrôle de ma propre vie car c’est moi qui choisissait de me couper.» Au début, Juliette se coupe une fois par semaine mais elle accélère la cadence pour en venir à se couper une fois par jour.

Photo fournie

Des statistiques alarmantes, des solutions à améliorer

leur donner ce que je n’ai pas reçu. J’en ai vu beaucoup qui avait des coupures sur les bras et quand je vois ça, je leur dis au creux de l’oreille que j’aimerais parler avec eux.» En mars, Juliette participera à une confé- rence sur l’intimidation à Ottawa. Elle veut en apprendre davantage sur l’aide à apporter à ceux qui souffrent. Selon elle, il manque de ressources dans les écoles. «Il faudrait des ateliers sur l’intimidation, mais obligatoires. Il y a tellement de jeunes qui souffrent en silence. Et il devrait égale- ment y avoir un ou deux élèves qui siègent sur des comités pour parler de ce qu’ils ont eux-mêmes vécu et ainsi attirer l’attention de ceux qui le vivent. Dire que c’est correct d’en parler. C’est une perte de temps de juger les autres. On est tous pareils, mais différents en même temps. Il faut accepter les différences de chacun. Et, surtout, ne pas faire aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse subir», conclut-elle. Dans l’article intitulé Plus jamais cela, plus jamais l’inceste , paru le 20 février dernier, une erreur s’est glissée dans l’adresse courriel de l’auteure. Il aurait Correctif

ment des jeunes d’aujourd’hui pour la technologie est si fort que l’intimidation déborde à présent le cadre de l’école et s’immisce dans les foyers.» Que se fait-on dans l’Est ontarien? Qu’a mis en place le Conseil scolaire de district catholique de l’Est ontarien (CSDCEO)? «On est à perfectionner le tout, ex- plique la surintendante de l’éducation au CSDCEO, Line Racine. Cette année, notre grosse initiative a été de lancer un programme sous forme de guide avec des plans de leçons, pour l’élémentaire. Ça implique tout le personnel scolaire.» Mme Racine explique qu’un programme de dénonciation, via un site web, est dis- ponible pour tous les élèves. «Au secon- daire, on a également des intervenants en milieu scolaire qui vont faire des initia- tives en petits groupes et des ateliers. Les écoles ont des plans au niveau de l’intimi- dation», poursuit-elle. Jean-François Sauriol, conseiller en sé- curité informatique, se déplace dans plu- sieurs écoles de l’Est ontarien pour parler d’intimidation et de cyberintimidation. Il explique que les trois conseils scolaires francophones de cette région ont des programmes et font plusieurs choses pour aider à renforcer l’empathie de cette génération de jeunes. «Selon moi, il faut encore plus de ressources, explique-t-il. Ça prendrait un responsable pour renfor- cer l’empathie dans chaque école, mais les gens de l’éducation en sont conscients et les ressources s’en viennent.» Il parle du projet de la Loi 13 du gouvernement canadien qui stipule que si l’intimidation se passe à l’extérieur du cadre scolaire, des mesures vigoureuses seront prises, ce qui force dorénavant les écoles à gérer la crise si cela affecte l’apprentissage du jeune à l’école. «La multiplication des différents programmes est importante et devrait avoir lieu au moins une fois par mois, insiste-t-il. Plus on multiplie les exercices, les activités et les ateliers dans le quotidien, moins le pouvoir prend de la place.»

Quelque 29% ou près de 300 000 des élèves ontariens seraient les victimes d’intimidation à l’école selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale ontarien (CAMH). Les conseils de la ré- gion réagissent sur ce sujet qui tend à prendre de plus en plus de place dans les murs et hors des murs des écoles. Selon Statistique Canada, au moins un adolescent sur trois raconte avoir été vic- time d’intimidation à l’école. Une étude réalisée à Toronto dévoile qu’un geste d’intimidation est posé toutes les sept secondes, mais que les enseignants ne seraient au courant que de quatre pour cent d’entre eux. La cyberintimadation prend aussi de plus en plus de place. Un sondage effec- tué en 2011 révèle qu’un élève sur cinq en a été victime, ce qui représenterait 217 000 élèves en Ontario. Les filles sont plus nombreuses que les garçons à signaler avoir été victime d’intimidation à l’école (31% contre 26%). Les résultats d’un sondage biannuel réalisé en 2012 pour le Centre de toxi- comanie et de santé mentale (CAMH) auprès des élèves de l’Ontario, allant de la 7e à la 12e année, fait ressortir qu’il y a des tendances inquiétantes, en particu- lier chez les filles chez lesquelles les taux d’intimidation et de détresse psycholo- gique sont en hausse. Le docteur Davide Wolfe, directeur du Centre des sciences préventives du Centre de toxicomanie et de santé men- tale (CAMH), précise que les taux d’inti- midation qui concernent les filles sont in- quiétants. «L’intimidation peut avoir des répercussions à long terme sur la santé mentale, écrit-il dans son rapport. Elle peut affecter l’estime de soi et entraver la capacité à nouer des relations saines. Les taux élevés de cyberintimidation sont eux aussi inquiétants car l’engoue- ANNIE LAFORTUNE ANNIE.LAFORTUNE@EAP.ON.CA

Sui vez-nous

Follow us

3L9LÅL[;OL News

3L9LÅL[;OL News

Made with FlippingBook flipbook maker