FNH N° 1025

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TRIBUNE LIBRE

JEUDI 3 JUIN 2021 FINANCES NEWS HEBDO

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Le régime libéral se caractérise par la «mar- chandisation» de l’enseignement. Les étu- diants supportent les frais élevés de leurs études en ayant recours à l’endettement bancaire. Les principaux pays qui adoptent ce modèle sont les Etats-Unis, l’Angle- terre, le Japon et la Nouvelle Zélande. Les études sont alors assimilées à un investis- sement financier qui sera rentabilisé après l’embauche. En dépit de l’efficacité de ce régime reflétée, notamment, par les classe- ments des universités, ce modèle engendre un lourd endettement pour les étudiants et leurs familles et favorise ainsi le décrochage et le gap social. Le régime conservateur constitue une voie charnière entre les deux modèles précé- dents. Il propose aux étudiants un enseigne- ment avec des frais inférieurs à ceux prati- qués par le régime libéral, mais n’accorde pas le même niveau d’aides que le modèle social-démocrate. Ce système est appliqué par quelques pays européens dont la France, l’Allemagne, l’Es- pagne et l’Italie. Les classements et les statistiques affichent des résultats inférieurs aux deux modèles précédents. Au Maroc, la réforme globale actuelle de l’enseignement supérieur épouse les prin- cipes du modèle conservateur. Le projet promet des changements, a priori, à partir de la rentrée 2021, dans l’architecture péda- gogique avec l’instauration d’un diplôme de Bachelor dans les établissements à accès ouvert. Déjà introduit par certaines écoles de com- merce marocaines, dans le cadre de leurs formules de double diplômation, il s’agit d’un diplôme dispensé en trois années équi- valent à la licence. Comme pour la licence, il est aussi accessible aux diplômés de BTS, DUT et DTS (OFPPT), avec des pos- sibilités d’accès aux étudiants ayant validé le concours de sortie des classes prépa- ratoires. C’est la version déjà disponible au Maroc et dans une grande partie de l’Europe. La version anglo-saxonne «Bachelor of Business Administration» est dispensée en quatre ans. C’est justement ce que la réforme marocaine propose pour finir avec la licence fondamentale et professionnelle. Ce cycle d’études, instauré dans pas mal de grandes écoles de commerce, est porté sur une ouverture à l’international avec des pro- grammes de mobilité et des programmes d’échange. Le Bachelor promet aux diplômés un cycle de formation avec des connaissances théo- riques et pratiques suffisantes pour démar- rer une carrière professionnelle. Il permet,

Sans la mise en place d’un véri- table accompagnement financier et logistique, le modèle Bachelor ne portera pas les fruits escomp- tés au Maroc.

dans sa version théorique, de doter l’étu- diant des compétences comportementales, à savoir la communication, les langues, l’innovation, le marketing de soi et les apti- tudes professionnelles, comme le travail en équipe et la gestion de la crise. Il s’y rajoute à cela l’expérience professionnelle acquise grâce à l’intégration des stages et des for- mations en alternance. A ce titre, le projet Bachelor proposé au Maroc est une version anglo-saxonne avec quatre années, dont huit modules seront dédiés aux soft skills et trois à quatre modules aux langues. Cela donne un total de 11 à 12 modules expliquant le passage de trois années à quatre. Contrairement aux critiques, le projet Bachelor ne touche pas au volume horaire dédié aux modules de spécialité et outils. En revanche, la proposition ne corrige pas les dysfonctionnements actuels de notre système pédagogique universitaire, sinon, il rajoute d’autres difficultés. A savoir, seu- lement un tiers du programme académique sera dispensé en présentiel, tandis que les deux tiers seront transmis, à distance, via les plateformes de e-learning. Il faut noter que pendant la crise de la Covid- 19, le corps professoral a été confronté, à maintes reprises, à la rupture des cours à distance en raison de la vulnérabilité élec- tronique des plateformes actuelles liée aux incidents récurrents de pannes et des satu- rations de réseau. Ainsi, l’instauration de la réforme Bachelor au Maroc se heurte à plusieurs contraintes : • Le taux d’encadrement pédagogique est quasi catastrophique dans les établisse-

ments publics, notamment au niveau des facultés des sciences économiques et de gestion. Sans le renforcement structurel des effectifs des enseignants, le problème ris- quera de s’aggraver avec la vague actuelle des départs à la retraite. • Le projet Bachelor n’annonce pas des solutions claires et concrètes pour inclure davantage les acteurs économiques dans la formation et les offres de stage et d’alter- nance. • Le projet Bachelor, dans un raisonnement purement financier, prévoit une utilisation exclusive des plateformes numériques pour le développement et l’évaluation des com- pétences linguistiques et des soft skills. Il s’agit d’un enseignement en mode distanciel sans l’intervention, en présentiel, des pro- fesseurs de spécialité. Ce mode s’est avéré contreproductif pendant la pandémie. Le dispositif numérique actuel ne garantit pas l’égalité des chances entre les apprenants à cause de l’absence des mécanismes de vérification de l’identité des candidats lors des évaluations sommatives notées. • Il faut également envisager des solutions pour la généralisation d’accès à Internet à tous les étudiants afin de ne pas aggraver la fracture sociale entre les apprenants issus de milieux sociaux divers. Assurément, sans la mise en place d’un véri- table accompagnement financier et logis- tique, le modèle Bachelor ne portera pas les fruits escomptés au Maroc. Au contraire, il peut contribuer à la détérioration du niveau des diplômés du secteur public, ce qui entravera leurs perspectives d’embauche et aggravera les inégalités sociales. ◆

Le projet Bachelor proposé au Maroc est une ver- sion anglo- saxonne avec quatre années.

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