FNH N° 1084

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FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 10 NOVEMBRE 2022

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Biographie

◆ En 1.244 pages, Jean-Jacques Lefrère reconstitue la trajectoire insolite d’Arthur Rimbaud, né le 20 octobre 1854 et mort le 10 novembre 1891. L’essai, habilement mené, rétablit le vrai visage du poète. Passionnant. Arthur Rimbaud, l’enfant brûlé

à coups de revolver. Ce dernier s’en sort avec quelques égratignures. Il écrit, « à chaud », « Une saison en enfer ». Sur la relation tumultueuse entre Verlaine et Rimbaud, on a longuement épilogué. Certains en évacuent carrément la com- posante homosexuelle. D’autres affirment que le poète menait seulement une expé- rience. Enfin, d’aucuns rapportent l’homo- sexualité fugitive de Rimbaud à l’absence du père. Inepties que tout ça, tranche Jean-Jacques Lefrère. Les deux poètes étaient bel et bien amants, déli- bérément.

De gauche à droite, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Léon Valade. Ces poètes ont été immortalisés par Henri Fantin-Latour dans «Un coin de table», peint en 1872.

Quoi qu’il en soit, Rimbaud s’em- pressera de gommer le souve- nir de sa relation avec Verlaine. Sitôt celui-ci libéré, il chausse ses semelles de vent et se met en partance pour trafiquer dans l’inconnu. Périple africain, puis

pas seize ans quand « Revue pour tous », publia ses « Etrennes des orphelins », un poème subversif au fil duquel il règle ses comptes avec la grisaille de son enfance. Sa voie semblait toute tracée. Doué d’une imagination ahurissante, il composa « le Dormeur du val », alors qu’il n’avait jamais connu la guerre. Il n’avait jamais vu la mer, mais il écrivit son fabuleux « Bateau ivre ». Rimbaud filait doux sur les chemins de la gloire. «Le malheur a été mon dieu» Nous sommes en septembre 1871. Rimbaud a demandé à rencontrer Verlaine. Rendez-vous est pris à la gare de l’Est. Rendez-vous manqué. Les deux poètes, qui ne se connaissaient pas, ne se recon- naissent pas mutuellement. Ils se retrou- veront plus tard pour tisser une relation riche en nuits d’absinthe, en « dérèglement des sens » et en déchirements. Jusqu’au drame. Le 10 juillet 1873, l’auteur des « Fêtes galantes » tire sur Arthur Rimbaud

retour en Europe. Il n’a pas encore rompu avec la poésie. Il le fera deux ans plus tard, quand, repris par le démon du voyage, il jettera son froc de poète aux orties. Renoncement inexplicable, et qui demeure inexpliqué. En tout cas, le voilà dévalant l’infini comme s’il s’agissait d’un fascinant ravin. Alexandrie, Hodeïda, Zeilah, Aden… Aventures aventureuses, épreuves ter- ribles, syphilis, enfin ce train qui l’emporte vers Marseille où la mort le délivre. Que cherchait-il de ville en ville, de désert en désert ? A fuir la vie vacante et coupée de l’absolu ? A explorer l’existence concrète ? Non point, assure Jean-Jacques Lefrère, il était mû par un désir prosaïque : gagner de l’argent pour couler une vie confor- table. Décevant ! « J’ai appelé les fléaux, pour m’étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bons tours à la folie ». ◆

I l avait une gueule d’ange, il fit un cadavre de choix, disputé féroce- ment par des cohortes de rimbal- diens qui, soucieux de l’enrôler sous leur bannière, placèrent le poète cru- cifié sur un piédestal, au mépris de la vérité, sa vérité. C’est celle-ci que Jean- Jacques Lefrère tente courageusement de rétablir, en revisitant, par le menu et à grand renfort de documents et d’archives, le destin griffé de l’auteur de la « Saison en enfer ». L’enfer. Arthur Rimbaud en aborda les sombres rivages dès l’enfance. Son géni- teur, un capitaine de l’armée française, se volatilisa cavalièrement du gîte familial. Sa mère, une sorte de Madame Lepic, lui fit payer cette trahison à coups de taloche sans rime ni raison. L’enfant se cabrait dans l’insoumission. Il vomissait l’école, fuguait d’abondance, s’évadait dans la poésie. Rimbaud n’avait même Par K. Houdaïfa

J’ai appelé les fléaux, pour m’étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue...

«Rimbaud», par Jean-Jacques Lefrère. Fayard, 1.244 p.

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