FNH N° 1021 ok

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CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

DU 29/30 AVRIL 2021

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Outsiders/Insiders ?

◆ Le musée d'art contemporain africain Al Maaden (MACAAL) de Marrakech nous gratifie d’une heureuse exposition réunissant les œuvres de quelques peintres souiris. Piqûre de mystiques

puis s’en sauvant miraculeusement… Ledit vent mêle son rugissement au gron- dement des vagues, aux stridences des mouettes et aux hurlements des albatros. «Cette ville dégage une magie telle qu’on a beaucoup de mal à s’y arracher», nous confie une mienne connaissance. «Magie», dit-elle. Quel en est le secret ? Mieux vaut tenter de le percer en flânant à travers la ville. Et l’on se persuade vite qu’il ne réside ni dans l’obscur désir qu’attise le drapé des haïks dont s’enveloppent encore des femmes, ni dans la majesté des remparts que procurent les mille senteurs généreu- sement exhalées, ou la vétusté des murs et des façades. Mais dans le rapport têtu qu’entretient Essaouira avec le temps qui passe. Elle est une cité intemporelle, qui fait de nonchalance vertu. C’est ce trait qui la particularise, accentue sa magie, en fait un lieu «dangereusement» poétique, auquel ont succombé les plus illustres créateurs. Les rues, vibrant aux sons lan- goureux des guembris, sont toujours han- tées par le fantôme de Jimi Hendrix y déambulant à la recherche d’une fulgu- rante inspiration… Il faudrait des pages et des pages pour rendre compte du charme ineffable de la ville. Essaouira est une cité sur laquelle l’art souffle à pleines voiles. Dans ses rues, en ses artères, parmi ses venelles, il s’exhibe, s’affiche, fascine et aimante le prome- neur… Un îlot radieux où se sont embras- sées des cultures, souvent lointaines, et où les artistes cultivent «une expression plastique citadine, sage et disciplinée, conventionnelle et bourgeoise» , en affi- chant sans complexe, ni retenue, une dif- férence et une certaine singularité. A mesure que vous pénétrez dans une galerie, qu’une telle orgie de couleurs, de formes, de signes et de motifs vous hallu- cine. Vous êtes immédiatement entraîné dans un tourbillon étourdissant qui fait perdre la connaissance à cause de la violence des couleurs et l’ivresse d’une

spontanéité du trait - que rien ne semble pouvoir ou vouloir arrêter. Les dispensa- teurs de cet intarissable éblouissement sont des hommes et des femmes qui se sont mis à peindre d’une façon très ins- tinctive, loin de toutes influences occiden- tales, ou de tout académisme, résolument contemporain. Il y a peu, ils exerçaient des petits métiers, aujourd’hui, ils ont tro- qué le bleu de chauffe contre le chevalet, l’avenir précautionneux contre les lende- mains incertains. Avec ferveur. Afin de recomposer les parfums imprégnés, les humeurs humées et surtout les souvenirs fixés à jamais… ou du moins, préserver le feu sacré d’une tradition instaurée par de lumineux illuminés. Peinture naïve, art de la transe, du surnaturel mystique et rituel Il y a un peu plus d’un demi-siècle, Benhila Regraguia, déboulant de sa cambrousse inculte sans armes et sans bagages, a décidé de se faire voir en peinture en enra- cinant son désir dans un genre qu’on bap- tise, faute de nom plus approprié, «naïf». «Pourtant, je rêvais sans cesse de prendre le pinceau, mais j'avais peur de rentrer dans une galerie de peinture. Seules les femmes riches habillées à l'européenne en franchissaient le seuil» . Elle fit la guerre à Al-Ihbat (la frustration, le défaitisme), et y entre avec une fraîcheur colorée. C’est dire qu’elle y est aussi venue par une voie insolite : primo, parce qu’elle est d’une famille de pêcheurs – comme c’est le cas de nombre des artistes de l’exposition Outsiders/Insiders. Secundo, parce qu’elle est possédée par les djinns et qu’elle doit les exorciser. Ses œuvres labyrinthiques nous invitent dans un monde tourmenté aux couleurs chatoyantes dont on ne res- sort pas indifférent. Dans cette ville profondément immergée dans le sacré, Boujemâa Lakhdar est l’objet d’une intense vénération : sa mort prématurée, il avait à peine quarante-sept

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Par R. K. Houdaïfa

A près avoir accompli des heures de route depuis Casablanca, parcouru de mornes paysages hantés uniquement par les arganiers et les chèvres, l’on aperçoit – enfin – les abords d’Essaouira. Du haut d’un promontoire, auquel s’ar- rêtent rituellement les visiteurs, la ville bleue et blanche, cernée de toutes parts par une mer furieuse et fouettée impitoya- blement par un vent rageur, fait l’effet d’un bateau ivre, prêt à sombrer dans les flots,

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