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CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

DU 29/30 AVRIL 2021

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ans, affermit sa légende. Celle essentielle- ment d’un fondateur : «Tout a commencé dans les années cinquante avec Boujemâa Lakhdar, pionnier de la peinture soui- rie. Par son œuvre et son intérêt pour la culture, il reste la personnalité artistique la plus marquante », lit-on dans la brochure de présentation des «Artistes singuliers d’Essaouira». Il s’est précipité dans le paysagisme et l’expressionnisme à l’heure où l’ogre dévorait tout, à commencer par Van Gogh et Cézanne. L’abstrait le tenta un fugitif moment. Il s’est mis, par la suite, à puiser dans le fond local pour déployer des œuvres saisissantes parcourues de signes cabalistiques, hantées par des animaux mythologiques et distillant une réelle mystique. Des œuvres destinées à mettre à nu nos fantasmes et nos obses- sions. En 1989, il sera le seul maghrébin à participer à l’exposition «Les magiciens de la terre» à Paris. Mohamed Tabal est incontestablement le plus connu d’entre eux. Gnaoui, initié aux rites de possession. Il est surtout un errant, qui a parcouru les chemins, quêtant de village en village tambour à la main… Un jour, il eut la «révélation» de la peinture. Celle-ci sera hantée par les musiciens, les danseurs figés dans l’élan de leur saut et les mlouks (êtres surna- turels). Une sorte d’exode, de proces- sion où se croisent également gazelles, ânes, chevaux, lézards, oiseaux, girafes, autruches, crocodiles, voitures, vélos et autocars, occupant le moindre espace du tableau. Lorsqu’on l’interroge sur les circonstances de sa production, il fait allusion à l’état de transe (le hal, emprunté au vocabulaire mystique) : «je tiens le pin- ceau d’une main ferme tandis que ma tête s’envole» , c’est ainsi qu’il définit l’état par- ticulier dans lequel il peint. Or, son travail ne se limite pas uniquement à la transe. Il est aussi plus narratif, moins spontané, à la manière d’un conteur. Ses peintures se construisent autour d’un thème central d’où s’échappent des motifs à lecture circulaire. Cultivateur par tradition et maçon de métier, Said Ouarzaz se détache du lot avec des œuvres très personnelles et complètement différentes de celles de ses pairs. Lui, il ne montre que le mouvement et la danse de ses figures qui couvrent la toile. Son geste nerveux de peindre se confond avec ce qu’il peint. Et les touches de couleur appliquées avec rapidité nous font rentrer dans un monde hachuré et

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1/ «Autoportrait 2», Huile sur panneau, 66,5 x 55,5 cm de Mohamed Tabal. 2- «Composition, 1996», Acrylique sur toile, 99x99 cm de Abdelmalek Berhiss. 3/ «Sans titre, 1993», Acrylique sur papier, 47x60 cm de Regraguia Benhila. 2

tumultueux. Qu’il faut contempler longue- ment pour voir surgir quelques animaux et personnages multiples et variés. Son œuvre ne peut donc pas être qualifiée d’abstraction, mais une sorte de peinture mi-abstractive et mi-figurative qui aboutit à un style singulier et très souiri… Faute d’espace, il serait malaisé d’évo- quer tous les peintres donnés à voir dans cette expo. Contentons-nous de faire des épisodes, d’autant que nous tenons à

nous attarder sur ces Artistes d’Essaouira. D’abord, en raison de leur improbable destin, ensuite parce qu’ils sont les por- teurs au grand cœur d’un art singulier… (A suivre) ◆ * Outsiders/Insiders? Artistes d’Essaouira des collections Fondation Alliances et Fundación Yannick y Ben Jakober/Museo Sa Bassa Blanca, jusqu’au 25/07/2021 au MACAAL, à Marrakech.

Outsiders/ Insiders ?

A travers une variété de médiums, d’œuvres inédites et d’archives, l’expo révèle comment Essaouira, cette ville muse et cité poreuse qui se laisse griser par les vents, est devenue le terreau d’une scène créative atypique. Que ce soit par les œuvres de Abdelmalek Bentajar avec les remparts blancs de la ville, les nuages où le vent dessine des créatures et l’omniprésence de ce bleu si particulier, ou alors dans l’architecture des œuvres de RachidAmarhouch. Les artistes souiris sont inclassables et hétéroclites. Sans formation académique, natifs d’un terri- toire n’ayant jamais été influencé par les écoles des Beaux-Arts, ils puisent leur inspiration dans les références multiples que concentre la ville. Ces créateurs autodidactes ont ainsi réussi à générer une iconographie et uneplasticité singulière. Leur peinture est tout à la fois instinctive et réfléchie, simple et riche, mystérieuse et éloquente. Leurs œuvres ont en commun la fluidité de la courbe, la profusion des formes et la richesse des couleurs. Lesmouvements ondulatoires répétés inspirés conjointement de l’eau, du souffle, de lamusique et de la transe font apparaître pêle-mêle formes anthropomorphes, créatures oniriques et symboles protecteurs. Art du mouvement perpétuel et de la régénération constante des formes, ces œuvres ouvrent la porte à un monde mystérieux, mystique, d’une grande complexité.

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