FNh N° 1050

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BOURSE & FINANCES

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 13 JANVIER 2022

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La Livre turque craque L a Turquie traverse une crise de change sans précédent. La Livre n’arrive pas à freiner sa dégringolade : elle a perdu 46% de sa valeur en 2021, Par Omar Fassal *

mique, stimuler la création d’emplois, et in fine, stabiliser le change pour mettre un terme à l’inflation. Un rai- sonnement non-orthodoxe, qui va à l’encontre aussi bien de la théorie que de l’expérience. Nombreuses sont les Banques centrales dans l’histoire qui se sont lancées dans cette fuite en avant, convaincues de pouvoir freiner l’infla- tion au bon moment, avant que celle-ci ne s’emballe. Pour pallier cette crise, la Turquie a annoncé deux mesures phares. La première est le relèvement du salaire minimum de +50% à 274 dollars en 2022, ce qui concerne 40% des travail- leurs. Cette mesure louable sur le court terme– car elle offre un supplément de pouvoir d’achat aux travailleurs dure- ment touchés par la hausse du coût de la vie – aura un effet contreproductif sur le moyen terme. Elle risque de mettre en place un cercle vicieux, fait de hausse des prix, de hausse des salaires, qui provoque une nouvelle hausse des prix. La seconde mesure phare est la mise en place d’une couverture contre la dépré- ciation future de la Livre. Au moment où les ménages et les entreprises cèdent la Livre pour placer leur épargne sur des comptes en dollars et se protéger contre la baisse, l’exécutif tente de mettre un terme à cette dollarisation. Les banques vont offrir – uniquement aux particuliers – des comptes cou- verts contre toute dévaluation future. Les fonds doivent être bloqués entre 3 et 12 mois. Le client obtiendra un taux d’intérêt sur son dépôt rémunéré par la banque. Si jamais la baisse de la Livre face au Dollar dépasse le ren- dement offert par le compte, l’Etat s’engage à payer la différence pour que le client conserve a minima la valeur de son capital en Dollar. Cette démarche est également contreproductive, car si jamais la Livre se déprécie, l’Etat compensera la différence certainement en empruntant auprès de la Banque centrale. Cela correspondra à une nou- velle injection monétaire, et accentuera l’inflation, alors que l’inverse est requis. De plus, pareille mesure peut s’avérer

avec un effondrement brutal sur les deux derniers mois de l’année. Mais pour comprendre la crise que traverse l’économie turque, il faut prendre du recul et remonter à 2016. Cette année- là, un coup d’Etat avorté a plongé le pays dans l’incertitude. Les perfor- mances de l’économie turque ne sont plus les mêmes, avant et après ces événements. Avant 2016, la croissance réelle moyenne du PIB s’élevait à +7,3%; depuis elle a été divisée par deux à +3,8%. La croissance réelle moyenne du PIB par habitant est passée de +6,0% avant, à +2,5% après. Le taux de chômage est passé d’une moyenne de 9,6% à 12%. Le déficit budgétaire de -1,7% du PIB à -3,9% avant le Covid, puis à -5,5% après la crise sanitaire. Le solde budgétaire primaire (c’est-à-dire avant le remboursement de la dette) est passé d’un surplus de 0,5% du PIB à un déficit de -2,5%. La dette publique brute de 27% du PIB à 38% en 2021. Depuis 2016, les investissements directs étrangers (IDE) en Turquie sont sur une trajectoire baissière, passant de près de 18,5 milliards de dollars en 2015 à 7,5 milliards en 2020. Ces entrées de capitaux sont importantes, car malgré les prouesses avérées de ses industries exportatrices, l’écono- mie turque reste cloitrée dans un déficit commercial structurel de -6% du PIB en moyenne, avec un taux de cou- verture de 78% des importations par les exportations. L’économie turque compte donc beaucoup sur les entrées de capitaux et sur les revenus du tou- risme pour compenser sa balance com- merciale déficitaire. Certes, l’inflation dans les pays émer- gents est supérieure à celle des pays développés en raison d’une plus forte croissance, et bien sûr, l’inflation turque

a toujours été élevée – de l’ordre de +7,8% entre 2009 et 2016 –, mais 2021 a marqué une hausse conséquente. L’inflation moyenne avait déjà doublé pour atteindre +14,6% entre 2017 et 2020. Puis en 2021, la Turquie n’a pas échappé à la tendance mondiale infla- tionniste, alors que le niveau était déjà élevé, pour atteindre des chiffres jamais atteints depuis 20 ans : un pic de +36% en décembre sur une année glissante, une hausse des prix de l’électricité de +125% pour les industriels et de +50% pour les particuliers. Cette inflation a pesé à la baisse sur le taux de change. Dans ce contexte marqué par une infla- tion galopante, un taux de change sous pression, et un resserrement de la poli- tique monétaire des grandes Banques centrales (FED et BOE), la Turquie aurait dû relever son taux directeur. Mais les autorités ont refusé. Pire encore, elles ont choisi le chemin inverse. Elles ont baissé le taux en septembre de 19% à 18%, en octobre à 16%, en novembre à 15%, puis en décembre à 14%. L’effet sur le change fut immédiat, provoquant un crac de la Livre. La Banque centrale et l’exécutif défendent l’idée que des taux bas vont booster les exportations et les investis- sements, relancer la croissance écono-

Au moment où les ménages et les entre- prises cèdent la Livre pour placer leur épargne sur des comptes en dollars, l’exécutif tente de mettre un terme à cette dollarisation.

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