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CULTURE
JEUDI 3 JUIN 2021 FINANCES NEWS HEBDO
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Dans les compositions de Fardi Belkahia (1934-2014) l'un des fondateurs de la modernité artistique marocaine et, plus largement, arabe, la tradition artisanale est toujours présente. A droite, «Aube, 1983», une œuvre de Belkahia montrant cette alliance entre rigueur et exubé- rance.
le biais d’un manifeste, au travers duquel Belkahia et les siens disaient pis que prendre de ceux qui étaient en charge de l’art, les trai- tant d’ «incompétents» et fusti- geant la politique infantilisante des missions étrangères. Révoltés et unis par la même aversion à la peinture folk- lorique, hissée au rang de référence par les services des beaux-arts, ces francs-tireurs – isolés au début – vont rece- voir de précieux renforts : Mohamed Hamidi, Mohamed Ataallah et Mustapha Hafid. Et, manière d’enfoncer le clou, le petit groupe d’artistes plan- ta, un an plus tard, ses toiles au beau milieu de Jamaâ El Fna, à une centaine de mètres du lieu où se tenait l’inénar- rable et le poussiéreux Salon de Printemps, véritable tout- à-l’égout de l’art indigne. Acte protestataire retentissant où sont explicitées les relations entre l’artisanat marocain et l’art moderne. L’effet en est heureux : les mœurs picturales établies se mettent à décliner, pendant
que la nouvelle peinture com- mence à sortir de l’ombre. Secouant de fond en comble la vie artistique, la peinture contemporaine marocaine prend réellement son envol... Mais alors que la mayonnaise commençait à prendre, des querelles intestines desser- rèrent les rangs. Ulcéré, Farid Belkahia rendit son tablier de directeur des Beaux-Arts et s’évada vers la Chine. De la peinture au cuir, en passant par le cuivre Se réappropriant la tradition artisanale, conformément aux principes qu’il professait, Farid Belkahia se consacra entièrement à son art. Pour rappel, il avait, en 1966, remis au grenier chevalet, toiles et pinceaux et adop- ta comme matière le cuivre. Cloué sur des supports en bois, le cuivre fut la matière de prédilection de l’artiste pen- dant dix ans. Serti de cou- leurs ocres, vertes, rouges ou dorées, il donnait lieu à des images d’organes sexuels et des emblèmes, «signes du
de la transe, la quête d’un salut que l’homme arrache dans son combat contre la mort. Avec la maturité, elle ne cesse de grandir dans un mouvement de lignes et de couleurs en évolution : recherche, affine- ment des rapports d’ombre et de lumière, concentration sur des thèmes, comme celui du malhoun, approfondissement du sens des formes. On peut, certes, voir des corps démembrés, seins iso- lés, phallus, doigts et pro- tubérances peuplant ses œuvres, mais ces récurrences rechignent à être interprétées. Belkahia, lui-même, avouait ne faire que «traduire (ses) propres fantasmes à travers les formes et femelles». Tout bien réfléchi, il serait judi- cieux de ne pas se hasar- der dans des interprétations peu convaincantes, malgré le contenu sexuel qu’affirme l’artiste, et de se suffire du plaisir et de l’émotion que procure l’œuvre. Car ce qu’il importerait de noter, c’est la pureté des signifiants ainsi construits. ◆
mystère de la vie (dixit Toni Maraini)» . Sacrifiant le cuivre, c’est pour le cuir que Belkahia se passionna par la suite. Il en fera sa matière favorite. La peau - qui doit être sans tache -, est d’abord tirée sur des formes en bois, puis lais- sée au moins une dizaine de jours dans un courant d’air pour sécher (il évitait le soleil). Une fois lavée, nettoyée, ras- semblée avec d’autres, com- mence alors l’opération finale. «C’est presque une recette de cuisine !», disait-il. Les colo- rants naturels (henné, cobalt, safran…) qui s’y combinent la rendent vivante et sensuelle. Obsession de rébus Dans ses œuvres - pas toutes -, on y trouve le règne du rouge, cette couleur dont la portée symbolique est infinie. Aussi bien qu’elle est encline au feu, à la guerre et au sang, elle connoterait aussi la vie, l’amour et la volupté. Son œuvre s’adosse à un refus du mal que l’homme inflige à l’homme. Elle transmet les flux
On peut, certes, voir des corps démem- brés, seins isolés, phallus, doigts et pro- tubérances peuplant ses œuvres, mais ces récurrences rechignent à être interpré- tées.
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