FNH N° 1084

31

CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 10 NOVEMBRE 2022

www.fnh.ma

milliers de jeunes se reconnaissent en lui, chacune de ses vidéos fait des millions de vues, je discute souvent avec lui via les messageries. Croyez-moi, ce jeune vaut infiniment mieux que la caricature que l’on fait de lui. Je côtoie notre jeunesse au quotidien et je vois à quel point Toto est apprécié. On peut se boucher les yeux et les oreilles, cela ne changera rien, nous ne ferons que renforcer nos jeunes dans leur sentiment d’incompréhension, voire de mépris. F.N.H. : ElGrande Toto n’a pas été soutenu dans ses démêlés; il a été en revanche lâché aux fauves. Nous l’avons boudé sous prétexte qu’il est graveleux, alors qu’il ne fait que refléter le réel ambiant moyennant son art… A. Gh. : J’ai lu, j’ai entendu des choses hallucinantes. Partons des propos qu’a réellement tenus Toto, il a employé des mots crus ?! Il a été vulgaire ?! Il a «glori- fié» le joint ?! Ok, mais arrêtons un instant notre hypocrisie ! Nous sommes nous- mêmes infiniment plus vulgaires dans notre langage quotidien, ne serait-ce que lorsque nous sommes au volant… Toto est un jeune : il a dérapé, ok ! Et alors, faut-il le brûler ? Il s’est excusé; serions- nous incapables de pardonner ? Toto a une responsabilité, des milliers de jeunes le suivent, il doit en prendre conscience et être à la hauteur de cette jeunesse qui a besoin de modèles, d’images valori- santes. Mais, de grâce, ne le livrons pas aux chiens ! J’ai lu que le rap n’était pas une musique, j’ai lu qu’il fallait lui interdire la scène, c’est là que l’on s‘aperçoit que l’on n’a rien compris à notre jeunesse, et qu’on l’enferme dans une stigmatisation suicidaire. Ce qui me dépasse vraiment, c’est la pluie de plaintes qui s’est abattue sur lui : des artistes portant plainte contre un autre artiste !!!!! F.N.H. : Son art est le rap, un genre musical qui se veut miroir de la pluralité culturelle et lin- guistique du Maroc. Pourtant, on ne lui fait aucune place. Comment expliquez-vous ce manque ? A. Gh. : Le rap fait peur à certains, tout comme le cinéma de Nordine Lakhmari fait peur à certains. En un mot, la réalité fait peur à certains ! À force de ne pas faire de place à la pluralité culturelle, nous allons accentuer le fossé avec notre jeunesse, nous allons passer à côté de toute une génération. Et malgré les bar-

F.N.H. : Pourriez-vous mettre en lumière les dangers qui guettent la société marocaine et risquer des propositions ouvertes ? A. Gh. : Les dangers s’appellent : marginalisation, mépris, relégation, incompréhension, absence de dialogue, ascenseur social en panne, coupure générationnelle… Avec les jeunes mili- tants associatifs, culturels, sociaux, sportifs…, nous ne cessons de faire des propositions concrètes depuis des années. Propositions qui vont de la formation d’animateurs sociocultu- rels, de la création de médiateurs sur le terrain, à l’ouverture de centres de proximité dans les quartiers gérés par les jeunes eux-mêmes. Ou encore la rénovation et ré-orientation totale des Maisons de jeunes, qui sont d’une rin- gardise hallucinante, et bien entendu une réelle sensibilisation culturelle dans les écoles. Entre autres ! Nous avons tout un recueil de propositions dis- ponible. Je plaide activement pour la création d’une «Fondation des jeunes talents» dont les objectifs seraient de repérer les jeunes talents - en tous domaines -, puis leur mettre le pied à l’étrier pour les aider à émerger. C’est réalisable, il nous suffit d’un ou deux sponsors capables d’investir dans la culture, dans la jeunesse, dans l’avenir ! F.N.H. : Avez-vous l’espoir d’être entendus ? A. Gh. : Oui, sinon je cesserai toute action, toute activité, toute initiative… «J’y crois encore et encore » ! ◆

rages, les obstacles, la diversité culturelle poursuivra son chemin, les jeunes vivront leur culture non pas «comme partie inté- grante» de notre société, mais comme «entièrement à part»; et ça, c’est se tron- quer de toute une partie de nous-mêmes. F.N.H. : Deux thèses s’affrontent : l’une tient que l’on doit tout tolé- rer dès lors qu’il s’agit de créa- tion; l’autre préconise l’interdic- tion lorsqu’une création est insup- portable. A laquelle des thèses souscrivez-vous ? A. Gh. : J’ai envie de dire à aucune des deux totalement : tout tolérer sans «garde- fous» peut être dangereux, car toute une partie de notre jeunesse est fragile, sen- sible aux vents mauvais et influençable. Par exemple, à titre personnel, je m’ef- force - de par mon comportement (lol) - d’être à la hauteur de la confiance que les jeunes peuvent placer en moi. Mais d’un autre côté, «interdire» est une extré- mité à laquelle il ne faut avoir recours que dans des cas extrêmes (incitation à la haine, au rejet de l’autre, injures envers une catégorie de personnes, apologie du racisme, du terrorisme…). En fait, je crois que la solution passe par le dialogue (dif- ficile pour qui que ce soit de décider ce qui est «culture» et ce qui ne l’est pas) et en même temps par la nécessité de préserver notre mode de faire «société», nos valeurs … Or, précisément, la culture est l’une des clés du vivre-ensemble, de l’insertion, de l’épanouissement, je suis résolument partisan du dialogue. Dans le cas de Toto, qui a pris la peine de discuter avec lui ? Réponse : personne !

À force de ne pas faire de place à la plu- ralité cultu- relle, nous allons accen- tuer le fossé avec notre jeunesse, nous allons passer à côté de toute une génération.

Made with FlippingBook flipbook maker