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ECONOMIE

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MARDI 31 MARS 2020

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Mohamed Berrada est confiant quant à l'avenir du Maroc car, estime-t-il, «les crises nous per- mettent de rebondir plus fort».

celui des diplômés, et l’aggravation des inégalités, mettant ainsi en péril notre cohésion sociale. La caractéristique essentielle de ce modèle est qu’il donne plus de pouvoir aux marchés qu’à l’État ou aux politiques. Devant cette situation, en fait mondiale, surtout au cours de ces dernières années, on assiste, ici et là, à une montée du nationalisme teinté de popu- lisme et à un renouveau du protectionnisme. La population demande plus d’État pour se sentir mieux protégée, quitte à faire monter démocratique- ment au pouvoir des dictateurs. Vous comprenez alors pourquoi la conception de tout nouveau modèle de développement ne peut être envisagée qu’en dehors du modèle actuel. Il faut penser l’économie autrement. L’État doit avoir un rôle plus important. Baser le développement non pas sur la quantité de croissance, mais sur la qualité de la croissance. Baser le développement sur l’homme, sur l’éducation et sur la santé. Mais surtout adopter une démarche méthodologique de complexité en donnant plus d’importance aux liens qu’aux parties dans la conception de toute stratégie. F.N.H. : Les initiatives qui seront certaine- ment prises par plusieurs États, notamment la relocalisation de certaines industries, ne contrarient-elles pas la stratégie économique du Maroc, qui parie entre autres énormément sur les IDE ? M. B. : Je suis désolé de vous dire que la délocali- sation n’a pas concerné que les pays industrialisés, mais aussi notre propre pays. Par le jeu des multiples accords de libre-échange, nous avons fermé nos usines pour donner du travail à des entreprises étran- gères. On a délocalisé notre production. Probablement sans apprécier suffisamment les conséquences des excès du libre- échange, ou bien sans chercher à ren- forcer au préalable la compétitivité de nos entreprises. Pourquoi ? Parce que cela coûterait moins cher de

produire à l’étranger afin de consommer moins cher, que de produire localement. Et on oublie que c’est à partir de la production qu’on crée des revenus, et ce sont ces revenus qui nous permettent de consommer. En fait, vous le voyez, la question est de savoir ce qu’il faut privilégier : une politique de l’offre ou une politique de la demande ? Chacune de ces politiques a ses avantages et ses contraintes. Réfléchissons un moment. Dans notre stratégie, c’est la demande qui tire la croissance. Une bonne partie de cette demande se transforme en importations et contribue au déficit de la balance commerciale, lui- même financé en grande partie par les transferts du tourisme et des RME. Avec la crise du coronavirus, ces recettes sont en train de fondre, mettant en péril le niveau de nos réserves de change. Alors que faire ? Réduire les importations ? Comment ? Vous constatez qu’aucune stratégie économique ne peut se faire sans regarder en profondeur la structure de la balance commerciale. C’est un débat important qui doit se dérouler d’ailleurs au sein de la commission chargée de réfléchir à un nouveau modèle de développement. Vous me parlez de projets de relocalisation envisagés par certains pays, avec le risque de baisse des IDE. Pensons d’abord à relocaliser les nôtres. Certains sec- teurs industriels nationaux ont disparu. Il faut les faire revenir. Or, c’est l’industrie qui crée le plus d’emplois directs et indirects. A cet effet, nous devons renforcer notre compétitivité en regardant ce que font les autres pays. Au centre de la compétitivité, il y a l’investisse- ment en capital immatériel. Et c’est cela qui attire les IDE ! Nous devons avoir une stratégie qui donne la priorité à la production nationale et réduire notre dépendance vis-à-vis de l’étranger. Une stratégie inclusive où tous les secteurs sont reliés entre eux. Pensez un moment si nous avions une industrie qui fabrique du matériel médical dans les moments présents…

F.N.H. : Une dernière question : êtes-vous opti- miste pour le Maroc économique de demain ? M. B. : Évidemment ! Je reste confiant quant à notre avenir. D’abord parce que nous ne restons pas en attente des événements. Nous agissons et nous réagissons. On le voit à travers la manière et la rapidité avec lesquelles le pays, sous les directives de Sa Majesté, a réagi pour affronter les deux tsunamis, sanitaires et écono- miques, qui s’abattent sur le monde, mais aussi sur nous, de par le jeu de la mondialisation. On le voit à travers le sens de la discipline de la popu- lation aux appels de confinement. On le voit à travers l’élan de solidarité provenant de différentes couches de la société. Manifestement, je reconnais que cette crise nous apprend à «vivre ensemble» sans «être ensemble». Je reste confiant dans notre avenir car les crises nous permettent de rebondir plus fort. Il en est ainsi de la crise sanitaire et économique actuelle. Je suis certain qu’on saura tirer des leçons pour que le nouveau modèle de développement soit bâti sur des valeurs humaines et sociales, que le pouvoir politique appartienne à ceux qui sauront démontrer le plus d’empathie pour les autres, que les secteurs économiques dominants soient désormais ceux de la santé, l’éducation, l’alimentation, l’écologie, l’hospitalité. ◆ Par le jeu des multiples accords de libre-échange, nous avons fermé nos usines pour donner du travail à des entreprises étrangères.

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